[Blog] Règles budgétaires européennes: un pacte d’instabilité climatique ?

Crédit photos : Copernicus

Le réchauffement climatique confronte l’Europe à un double défi: s’adapter à ses impacts et garder le cap de la transition énergétique. En 2015, le gouverneur de la Bank of England, Mark Carney, avait alerté sur la tragédie des horizons et les risques que le changement climatique fait peser sur la stabilité financière[1]: l’horizon temporel des acteurs et régulateurs des marchés financiers ne dépassant pas trois à cinq ans, ils ignorent les risques climatiques qui étaient et restent trop souvent très largement sous-estimés[2]. Mark Carney insistait: « ce sera trop tard lorsque les risques se matérialiseront ». Depuis lors, les agences de régulation tentent d’imposer aux acteurs financiers de prendre en compte ces risques. Des progrès sont enregistrés, même si encore insuffisants selon la BCE[3]. Qu’en est-il de la cohérence de l’émergence des risques climatiques avec l’horizon temporel imposé aux politiques par les nouvelles règles budgétaires européennes ?

Cet horizon est découpé en deux séquences : une période d’ajustement du solde budgétaire de 4 à 7 ans, adaptable au cycle électoral suivie d’une période de dix ans durant laquelle le solde « ajusté » doit permettre de réduire le taux d’endettement puis de le stabiliser à un niveau jugé durablement soutenable. Cependant, en refusant d’introduire une règle d’or excluant clairement les investissements d’atténuation ou d’adaptation au changement climatique du calcul du déficit et malgré une certaine flexibilité sur la durée de la période d’ajustement, le législateur a rendu ces règles aveugles aux risques climatiques et surtout aux moyens de les atténuer. Est-ce cohérent avec ce que nous savons de l’échéance de ces risques ? 

Accélérer les investissements d’adaptation au climat à venir d’ici 2040.

Sur le long terme, les incertitudes qui pèsent sur ce que sera au-delà de 2040 le réchauffement et son impact nécessitent de recourir au principe de précaution. S’il faut construire une digue pour contenir la montée de la mer une hypothèse prudente est nécessaire. Tabler sur un réchauffement global de 3°C (4°C pour la France) en 2100 comme le fait le projet de Plan d’adaptation français en cours de consultation est une option raisonnable. Elle correspond à peu près à une hypothèse de poursuite des politiques en place dans le monde (avant l’élection de D. Trump). Cette hypothèse devra être cependant régulièrement soumise à un examen critique.

L’horizon des règles budgétaires se limite aux 10 à 15 prochaines années et au cycle électoral de 4 à 5 ans pour les politiques. L’inertie du système fait que le réchauffement climatique ne dépendra pendant cette période que marginalement des politiques d’atténuation menées. Quel que soit le scénario, le réchauffement moyen du globe par rapport à l’ère préindustrielle devrait à la fin des années trente fluctuer autour d’un niveau proche de 2°C alors qu’il est de 1,5°C en 2024. Selon le GIEC[4] des seuils critiques en particulier pour la santé humaine, la production agricole, les écosystèmes, les infrastructures sont déjà franchis ou le seront à brève échéance en Europe.

L’Agence Européenne pour l’Environnement[5] a identifié 21 risques générés par le réchauffement climatique nécessitant une action urgente. Deux facteurs déterminent l’urgence: une durée de planification et de réalisation complète des investissements longue (adaptation des infrastructures lourdes, transformation de la production agricole, isolation du bâti pour protéger la population du stress thermique, mesures pour faire face à la montée de la mer); ou la prévention nécessaire de risques se matérialisant déjà et qui vont s’aggraver. Sans prévention les conséquences aussi bien humaines que politiques, aussi bien économiques que sur les budgets publics sont sévères dès maintenant comme une étude de la Commission européenne l’a récemment montré[6]. Les inondations récentes de Valence, dans le Pas-de-Calais et en Allemagne (2021), les incendies en Grèce ou la sécheresse dans les Pyrénées de 2023 et 2024 en témoignent. Seuls des investissements dans l’adaptation permettront d’atténuer ces risques. La procrastination en la matière est couteuse.

Accélérer la sortie des énergies fossiles, un enjeu de compétitivité et de souveraineté.

Procrastiner en matière d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre n’est pas non plus une option indépendamment même des engagements internationaux pris par l’Union européenne. L’Union européenne dépend des énergies fossiles à 70% (la France à 50%). Réduire cette dépendance n’est pas seulement une contribution au freinage du réchauffement climatique, mais aussi à une plus grande indépendance énergétique associée à une baisse accélérée des coûts de l’énergie grâce aux renouvelables, une meilleure visibilité de ces coûts, une amélioration de la balance commerciale et une meilleure résilience de l’économie européenne. La transition n’est pas sans risques sociaux, économiques et financiers car elle peut impliquer une restructuration des emplois et une dévalorisation d’actifs productifs. Les fermetures actuelles d’usines dans l’industrie automobile et les difficultés des industries intensives en énergie en témoignent. Le rapport Draghi[7] montre la voie d’une dynamique atténuant ces risques moyennant un engagement budgétaire substantiel outre une bonne coordination des politiques publiques, règlementation, politique commerciale, aides à l’investissement des ménages et des entreprises, investissement dans la formation professionnelle et les infrastructures.

Mark Carney avait fait prendre conscience de la tragédie des horizons dans laquelle les acteurs et régulateurs financiers étaient engagés. Les nouvelles règles coordonnant les politiques budgétaires sont au mieux restées très myopes. Ces règles accommodent lorsqu’elles ne favorisent pas la procrastination des politiques. Leur révision deviendra rapidement incontournable afin de libérer les investissements dans l’adaptation et la transition. Le plus tôt sera le mieux.


[1] https://www.bankofengland.co.uk/-/media/boe/files/speech/2015/breaking-the-tragedy-of-the-horizon-climate-change-and-financial-stability.pdf

[2] https://carbontracker.org/reports/loading-the-dice-against-pensions/

[3] https://www.bankingsupervision.europa.eu/press/pr/date/2022/html/ssm.pr220708~565c38d18a.en.html

[4] https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/factsheets/IPCC_AR6_WGI_Regional_Fact_Sheet_Europe.pdf

[5] https://www.eea.europa.eu/fr/publications/evaluation-europeenne-des-risques-climatiques-synthese

[6] https://economy-finance.ec.europa.eu/publications/fiscal-impact-extreme-weather-and-climate-events-evidence-eu-countries_en

[7] https://commission.europa.eu/document/download/97e481fd-2dc3-412d-be4c-f152a8232961_en?filename=The%20future%20of%20European%20competitiveness%20_%20A%20competitiveness%20strategy%20for%20Europe.pdf

Retour

Votre message a été envoyé

Attention
Attention
Attention
Attention !

Laisser un commentaire