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Jugement de la cour constitutionnelle allemande sur la loi climat
24 mars 2021, publié le 29 avril
Un premier décryptage en questions / réponses
- Quelle est l’origine du jugement ?
Le tribunal constitutionnel allemand a rendu le 24 mars 2021 et publié le 29 avril un arrêt historique sur la politique climatique. Cet arrêt fait suite à quatre plaintes distinctes, mais regroupées dans la même procédure. Deux avaient été déposées par un collectif de citoyens et d’ONG spécialisée dans la protection de la nature, la deuxième par un groupe d’enfants mineurs représentés par leurs parents et résidents en Allemagne, la quatrième par un groupe de résidents au Bangladesh et au Népal. Pour l’essentiel, les plaignants visaient d’une part à faire constater par le tribunal la responsabilité du gouvernement et du législateur allemand dont l’action serait insuffisante de façon persistante pour protéger « la nature » ou les droits individuels des plaignants face aux conséquences et menaces du dérèglement climatique. D’autre part, l’action des plaignants visait à faire déclarer inconstitutionnelle la loi climat de décembre de 2019 en raison d’un certain nombre d’insuffisances et d’imprécisions l’empêchant d’être suffisamment efficace pour réaliser les objectifs fixés.
- Quelles sont les prémices de l’arrêt ?
L’arrêt qui comporte 77 pages qui vont devoir encore être analysées en détail reconnaît en s’appuyant sur les travaux du GIEC le dérèglement climatique, son origine anthropocène et l’obligation constitutionnelle de poursuivre des politiques visant la neutralité climatique des activités humaines pour éviter des dérèglements qui remettraient gravement en cause les droits des populations qui les subiraient. En outre, le fait que la stabilisation du climat ne dépende pas que de l’action de l’Allemagne ne remet pas en cause les obligations qui s’imposent à l’État allemand à ce titre.
- Les plaintes étaient-elles recevables ?
La plainte des mineurs vivant en Allemagne et ayant une espérance de vie allant entre 2080 et 2100 a été jugée recevable et il lui a été donnée partiellement droit. En revanche, la cour a jugé pour des raisons procédurales que la demande des associations de défense de la nature n’était pas recevable. Elle a par ailleurs a jugé qu’elle peut s’abstenir à ce stade de se prononcer sur l’obligation de protection de l’État allemand vis-à-vis de résidents au Bangladesh et au Népal car un non- respect d’une telle obligation n’aurait pas pu en tout état de cause être constatée (voir question « quel est le raisonnement de la cour? » ci-dessous).
- En quoi les droits des enfants vivant en Allemagne n’ont-ils pas été respectés ?
Le législateur a manqué d’inscrire pour la trajectoire 2030-2050 d’émissions de GES un objectif intermédiaire (2035 ou 2040) de réduction comme l’aurait exigé le principe de précaution. Faute d’objectif intermédiaire, les acteurs ne seront pas incités à prendre suffisamment tôt (avant 2030) les dispositions nécessaires pour poursuivre rapidement la transition énergétique dans les années qui suivent immédiatement 2030. De ce fait le poids de l’ajustement qui sera en tout état de cause nécessaire pour atteindre la neutralité climat en 2050 risque de se faire sentir de façon disproportionnée à la fin de la période 2030-2050.
- Que doit faire le législateur pour réparer ?
Il doit soit inscrire dans la loi les émissions annuelles maximales qui seront autorisées après 2030 soit fixer les modalités que l’exécutif devra appliquer à cet effet.
- Quel est le raisonnement de la cour ?
L’obligation d’agir découle de l’article 20a de la constitution qui prévoit « que l’État en responsabilité pour les générations futures protège le fondement naturel de la vie et les animaux par la législation, l’action des organes d’exécution et la jurisprudence ».
La signature de l’Accord de Paris a donné un sens concret à cette obligation. La réduction des émissions de gaz à effet de serre prévues dans la loi climat pour la période 2021/2030 de -55% par rapport à 1990 est compatible avec les Accords de Paris. Dans l’état actuel des projections, ces derniers peuvent eux-mêmes être considérés comme une base suffisante pour stabiliser le climat d’autant que des mesures d’adaptation complémentaires sont toujours possibles si les menaces résultant du changement climatique s’aggravaient. La cour considère donc que l’obligation de protection contre les risques climatiques est remplie avec la signature des Accords de Paris et l’engagement de la loi climat.
Cependant, la cour fait valoir que l’obligation de la neutralité carbone en 2050 est impérative et qu’il est nécessaire de prendre en considération les effets de l’accumulation de GES sur le climat. Un ajustement trop lent des émissions annuelles immédiatement après 2030 risquerait d’imposer un effort disproportionné sur la fin de la période 2030-2050 : ce qui est contraire à l’impératif d’une répartition acceptable de l’effort, et donc des restrictions aux libertés individuelles. En effet, la Cour considère que l’effort d’ajustement conduit nécessairement à restreindre les libertés individuelles car « presque toutes les activités humaines impliquent des émissions de GES ». D’où l’obligation de fixer dès maintenant un cap même approximatif pour la période après 2030.
- Conséquences de ce jugement : premières questions/réflexions d’un économiste non-allemand
La Cour a donné une définition intéressante de la justice entre générations. Elle comporte deux dimensions :
- Obligation de protection contre les risques matériels du changement climatique qu’elle considère comme remplie pour l’instant avec le respect de l’Accord de Paris
- et répartition de l’effort d’ajustement au cours du temps ; cet effort est considéré acceptable pour 2021-30, mais insuffisamment précisé pour après 2030. Aucun taux d’escompte permettant de donner aux générations actuelles un bonus, n‘en déplaise aux économistes.
S’il s’avérait avant 2030 que les émissions de GES sont incompatibles avec la trajectoire prévue par la loi climat, le jugement pourrait-il servir à imposer une correction des politiques réglementaires, fiscales budgétaire pour corriger les émissions territoriales.
Cela signifie-t-il que les autorités budgétaires sont autorisées à faire un arbitrage entre coût de l’endettement public et coût de l’inaction climatique, voire sont dans l’obligation de le faire ?
La cour a contourné la question de la maîtrise de l’empreinte carbone de la consommation : mais quid si la réduction des émissions de GES sur le territoire allemand résulte en totalité ou pour l’essentiel d’une délocalisation de l’industrie hors ou dans l’UE?
Quelle obligation pour les positions prises par l’Allemagne comme co-législateur européen ? Plus généralement, quelle sera l’interaction possible avec le droit européen.
English version
German constitutional court rules on climate law
24 March 2021, published on 29 April
A preliminary deciphering in Q&A
- What is the origin of the ruling?
On 24 March 2021, the German Constitutional Court issued a landmark ruling on the German legislature’s climate policy, which was published on 29 April. The ruling follows four separate complaints, but grouped together in the same proceedings. Two were filed by a collective of citizens and nature conservation NGOs, the second by a group of minor children represented by their parents and resident in Germany, and the fourth by a group of residents in Bangladesh and Nepal. In essence, the plaintiffs were seeking a court finding that the German government and legislature had persistently failed to protect ‘nature’ or the individual rights of the plaintiffs in the face of the consequences and threats of climate change. Furthermore, the plaintiffs’ action was aimed at having the Climate Act of December 2019 declared unconstitutional due to a number of shortcomings and vagueness that prevented it from being sufficiently effective in achieving its objectives.
2. What are the premises of the judgment?
The judgment, which comprises 77 pages that will have to be analysed in detail, recognises, on the basis of the IPCC’s work, a) climate change, b) its anthropogenic origin and c) the constitutional obligation to pursue policies aimed at the climate neutrality of human activities in order to avoid changes in climatic conditions that would seriously jeopardise the individual rights of the populations affected by them. Furthermore, the fact that climate stabilisation does not depend solely on German action does not call into question the obligations of the German state in this respect.
3. Were the complaints admissible?
The complaint of the miners living in Germany with a life expectancy between 2080 and 2100 was found to be admissible and partially granted. On the other hand, the court ruled on procedural grounds that the nature protection associations’ claim was not admissible. It also ruled that it could refrain from ruling on the German state’s obligation to protect residents in Bangladesh and Nepal from present damages resulting from climate change, as a failure to comply with such an obligation could anyway not be established (see question 6).
4. How far were the rights of children living in Germany not respected?
The legislator failed to include an intermediate reduction target (2035 or 2040) for the 2030-2050 GHG emissions trajectory, as the precautionary principle would have required. In the absence of an intermediate target, actors will not be encouraged to take the necessary steps early enough (before 2030) to pursue the energy transition in the years immediately following 2030. As a result, the burden of adjustment that will in any case be necessary to achieve climate neutrality in 2050 may be disproportionately felt at the end of the 2030-2050 period.
5 What should the legislator do to remedy this?
It must either enshrine in law the maximum annual emissions that will be allowed after 2030 or set out the terms and conditions that the executive must apply to achieve this.
6 What is the court’s main reasoning?
The obligation to act arises from Article 20a of the Constitution, which provides that « the State in responsibility for future generations shall protect the natural basis of life and animals through legislation, the action of executive bodies and case law ».
The signing of the Paris Agreement has given concrete meaning to this obligation. The fact that climate stabilisation does not depend solely on German action does not call into question the obligations of the German state in this respect. The reduction in greenhouse gas emissions provided for in the Climate Act for the period 2021-2030 of -55% compared to 1990 is compatible with the Paris Agreements. Given present prospects, the latter can themselves be considered a sufficient basis for stabilising the climate, especially since additional adaptation measures are always possible if the threats resulting from climate change worsen. The court therefore considers that the obligation to protect against climate risks is fulfilled with the signing of the Paris Agreements and the commitment of the climate law.
However, the court argues that the obligation of carbon neutrality in 2050 is imperative and that it is necessary to consider the effects of the accumulation of GHG on the climate. Adjusting annual emissions too slowly immediately after 2030 would risk imposing a disproportionate effort during the end of the 2030-2050 period: this is contrary to the imperative of an acceptable distribution of effort, and therefore of the distribution of restrictions imposed to persons living at different times during the period from now to 2050 and beyond. Indeed, the Court considers that the adjustment effort necessarily restricts individual rights because « almost all human activities involve GHG emissions ». Hence the obligation to set a course now, even if only approximately, for the period after 2030.
7 Consequences of the ruling: questions/reflections of a non-German economist
The court defined intergenerational justice in two dimensions:
– the obligation to protect against the material risks of climate change, which it considers to be fulfilled by compliance with the Paris Agreement
– and the distribution of the adjustment effort over time, considered acceptable for 2021-30, but insufficiently specified for after 2030. No discount rate, if economists are to be believed.
If, before 2030, it turns out that GHG emissions are incompatible with the trajectory set out in the climate law, the ruling could (?) be used to impose a correction of regulatory and fiscal policies to correct territorial emissions.
In question: does this mean that budgetary authorities are allowed or even obliged to make a trade-off between the cost of public debt and the cost of climate inaction?
The court has skirted around the issue of controlling the carbon footprint: but what if the reduction of GHG emissions on German territory will only result from the relocation of industry outside or within the EU?
What is the obligation for the position taken by Germany as European legislator? More generally, will there be a possible interaction with European law?