Crédits photos – Commission Européenne
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Greentervention s’est engagée très tôt pour une réforme des règles budgétaires européennes, qui en l’état sont incompatibles avec la transition écologique et solidaire. Quelques dizaines de notes et de propositions plus tard, Greentervention soumet aujourd’hui sa réponse à la consultation publique organisée par la Commission en cours jusqu’au 31 décembre, disponible ci-dessous ainsi qu’en pdf, et un résumé plus concis de ces réponses.
Résumé des réponses
La réforme de la gouvernance économique est à l’agenda. Cette gouvernance est fondée sur trois piliers : la règle d’application de l’interdiction que les déficits publics dépassent 3% du PIB et la dette 60% ; la règle imposant aux États de viser en moyenne du cycle un solde budgétaire proche de l’équilibre; une procédure ciblant d’autres déséquilibres macroéconomiques qui sont à corriger par des mesures relevant de différents domaines de politique économique.
La réforme que nous proposons vise à garantir une légitimité forte et durable à une gouvernance qui implique l’interférence du niveau européen dans des choix politiques au cœur des débats démocratiques nationaux.
Cette légitimité sera fondée sur des programmes nationaux adaptés aux particularités de chaque pays, la poursuite d’objectifs d’intérêt européen commun spécifiques et partagés, le financement des dépenses nécessaires à la transition, des procédures aussi simples que possible, des méthodes robustes et des incitations à l’efficacité des dépenses et politiques publiques
Nous proposons de remplacer la gouvernance actuelle fondée sur des règles uniformes et des recommandations « du centre vers les États » par une approche contractuelle « des États avec le centre ». En outre la séparation artificielle existant entre les programmes budgétaires et les programmes de politique et réformes sera comblée.
Chaque État présentera annuellement des programmes quinquennaux nationaux de transition et budgétaires (PNTB) avec une focale sur la contribution à la stabilité de l’économie européenne et aux objectifs d’intérêt commun sans rentrer dans le détail de ce qui relève de choix politiques nationaux.
Le PNTB remplacera les deux programmes actuellement demandés, le programme budgétaire (stabilité/convergence) et le programmes de réformes. Ce remplacement forcera une plus grande cohérence entre budget et mesures réglementaires, administratives et fiscales.
L’objectif général et non mesurable de renforcement « de la croissance potentielle », une variable non observable, sera remplacé par des objectifs spécifiques, mesurables et associables à des progrès effectifs dans la transformation des économies européennes.
Les programmes nationaux seront validés par le conseil sur proposition de la commission et après avis du parlement européen. De façon à autoriser un arbitrage entre dette et dépenses à l’efficacité éprouvée, ils seront analysés dans une double dimension.
- La soutenabilité de la dette selon une méthode développée à partir de celle utilisée actuellement par la commission. Cette méthode devra tenir compte des risques d’un sous-investissement dans la politique climatique ainsi que les interactions entre politique budgétaire, macro-prudentielle et monétaire. Une hausse du ratio dette publique sur PIB ne sera pas tabou si elle va de pair avec des dépenses et politiques dont l’impact sur la transition est éprouvé;
- La contribution des dépenses et politiques à la réalisation des objectifs d’intérêt européen, notamment climatiques, sur base d’indicateurs matériels et sociaux de résultats et de performance étayés par des évaluations d’impact.
Dans le même esprit de simplification et cohérence entre politique budgétaire et politiques de transition, la procédure de prévention de prévention de déficits excessifs et la procédure de déséquilibres macroéconomiques (PDM) sera remplacée par une procédure unique.
Les politiques budgétaires sont décisives pour corriger des déséquilibres macroéconomiques. Il n’y a aucune rationalité à ne pas les traiter dans le contexte d’une procédure expressément consacrée à tels déséquilibres.
Cette procédure unique, « de soutenabilité économique, sociale et environnementale», sera fondée comme la PDM sur des indicateurs alertant sur les risques de sous-utilisation des capacités productives, de pressions excessives ou d’évolutions insoutenables; l’alerte déclencherait un dialogue approfondi entre les parties sur l’opportunité de mesures correctives.
Cette procédure permettra en outre d’établir la liste des facteurs pertinents à prendre en considération pour décider de l’ouverture d’une procédure pour déficit excessif selon article 126 TFUE.
Les États seront incités à renforcer les stabilisateurs automatiques et à améliorer les méthodes de programmation, d’exécution et de suivi des dépenses publiques.
Réponses au questionnaire de la Commission européenne sur la réforme de la gouvernance économique
Question 1
How can the framework be improved to ensure sustainable public finances in all Member States and to help eliminate existing macroeconomic imbalances and avoid new ones arising?
Comment le cadre peut-il être amélioré pour garantir des finances publiques soutenables dans tous les États-membres et aider à éliminer les déséquilibres macroéconomiques existants et éviter l’émergence de nouveaux ?
Réponse
Une coordination des politiques budgétaires et économiques nationales est nécessaire dans l’Union. Cependant, les politiques à coordonner sont au cœur des choix démocratiques nationaux. Cette coordination ne restera politiquement légitime, et donc recevable et efficace, que si elle est transparente, n’implique aucune interférence excessive avec les choix politiques nationaux et est cohérente avec les objectifs sociaux et environnementaux agréés au niveau européen.
La nouvelle gouvernance devra ouvrir des espaces pour des arbitrages entre stabilisation, endettement et financements des politiques climatiques.
Une remarque préalable: la coordination même améliorée restera perfectible sans une capacité budgétaire européenne substantielle et sans mettre un terme aux évasions et évitements fiscaux.
- Il est très largement admis et l’expérience a montré qu’il n’est pas possible de juger de la pertinence d’une politique budgétaire et des risques qu’elle ferait peser sur la stabilité financière en se fondant sur des règles numériques arbitraires pour la dette publique et le solde budgétaire. Il faut prendre en considération les interactions avec d’autres variables et politiques macroéconomiques, financière et monétaire, sociales et maintenant climatiques. Les risques éventuels d’une évolution insoutenable de la dette publique qui justifieraient des contraintes sur les finances publiques d’un pays doivent être identifiés et explicités au cas par cas. Les arguments doivent être présentés de façon transparente et simple pour être accessibles à un débat démocratique au niveau national et entre les partenaires européens.
- La gouvernance devra être permissive des financements publics nécessaires pour accomplir la transition énergétique sur laquelle l’Union s’est engagée. Des atermoiements et sous-investissements dans la lutte contre les déséquilibres environnementaux augmentent à moyen et long terme les risques matériels et de transition ainsi que d’instabilité financière avec des risques de débordement d’un pays à l’autre. Ils feraient peser un coût excessif, voire insoutenable, aux générations futures.
- Les objectifs assignés à la coordination des politiques économiques doivent être spécifiques et leur réalisation vérifiable. La simple référence à un objectif aussi général et imprécis qu’une « croissance durablement soutenable » ne fournit pas une légitimité durable à une interférence du niveau européen dans les débats nationaux. Retenir comme objectifs ceux associés à la décarbonation de l’économie européenne et la protection de la biodiversité par une transition juste ainsi que la réalisation du socle européen des droits sociaux le peut. Ces objectifs ont été agréés au niveau européen et sont ou peuvent être associés à des indicateurs quantitatifs de résultats spécifiques et mesurables. Ces indicateurs peuvent guider et permettent de vérifier le choix des volume et d’affectation des financements publics et des politiques les accompagnant. Ils devront bénéficier d’une considération équivalente à celle accordée aux indicateurs monétaires et financiers.
- La procédure du volet préventif des règles budgétaires et celle des déséquilibres macroéconomiques (PDM) seront remplacées par une seule, la procédure de soutenabilité économique, sociale et environnementale (PSESE) replaçant l’analyse des politiques budgétaires dans son contexte. La PDM incluant déjà la dimension sociale, ceci reviendrait à élargir son champ à l’environnemental et à renforcer la dimension budgétaire. La politique budgétaire est un instrument incontournable pour redresser des déséquilibres économiques, y compris entre les pays de l’Union. Il n’ y a aucune rationalité à maintenir distinctes deux procédures traitant de sujets connectés et fondées sur le même article du Traité. Les valeurs de référence pour les indicateurs de la PSESE seraient, comme dans l’actuelle PDM, des seuils alertant sur une instabilité potentielle. Les mesures éventuellement recommandées devront tenir compte des spécificités du pays et en particulier de sa capacité d’ajustement et s’adresseront symétriquement aux pays excédentaires comme déficitaires. (Compendium PDM, P. 8).
- Volet correctif : A moins que l’art. 126 TFUE ne soit révisé, la liste des facteurs pertinents pour évaluer si les dépassements des valeurs de référence pour le déficit (3% du PIB) et la dette (60% du PIB) menacent la stabilité de l’économie de l’Union et justifient une procédure de déficit excessif sera revue. Le PESE encadrera l’identification de ces facteurs. Les recommandations dans le cadre d’une procédure de déficit excessif devront être réalistes et tenir compte également des niveaux actuels de la dette et du déficit ainsi que des risques qui résulteraient d’une réduction rapide des dépenses et d’un retard dans la transition écologique.
Question 2
How to ensure responsible and sustainable fiscal policies that safeguard long-term sustainability, while allowing for short-term stabilization?
Comment garantir des politiques budgétaires responsables et soutenables qui sauvegardent la soutenabilité tout en permettant une stabilisation à court terme ?
Réponse
Le caractère soutenable de la politique budgétaire de chaque pays et les risques qu’elle fait peser sur les partenaires font régulièrement débat à juste titre. Ce débat est utile si il est fondé sur un cadre d’évaluation partagé et tenant compte de toutes les informations disponibles.
Une programmation budgétaire adaptée aux besoins de chaque pays
Contrairement à ce que suggèrent les textes actuels, Il n’existe pas une seule limite supérieure pour un chemin soutenable de déficit public déterminé par une règle de convergence de ratios au PIB vers une norme. Les chemins de dette soutenable dépendent des spécificités de chaque pays, y compris des choix politiques qui sont faits en matière d’emploi, de la programmation des dépenses non récurrentes, de politiques salariales et de redistribution ainsi que de fiscalité.
Dans une approche contractuelle (similaire à la gouvernance de la Facilité Relance et Résilience – voir réponse à la question 4), chaque pays présentera une programmation budgétaire sur cinq ans, révisable annuellement, et qui sera validée par le conseil sur proposition de la commission européenne.
Un cadre commun d’évaluation des politiques budgétaires
Les analyses de soutenabilité de la dette, probabilistes et fondées sur des scénarii autour du programme budgétaire national, devraient très largement se substituer aux indicateurs actuels centrés sur des variables non observables et non pertinentes. Des seuils d’alerte pour des indicateurs comme le niveau des paiements d’intérêt sur la dette publique, la différence entre la croissance du PIB nominal et le taux d’intérêt sur la dette publique, le niveau d’excédent primaire nécessaire pour stabiliser le ratio dette sur PIB, l’échéance moyenne de la dette seraient définis. Leur dépassement déclencherait une procédure pouvant conduire à révision du programme.
L’évaluation tiendra aussi compte des interactions avec la politique monétaire.
Cette approche multidimensionnelle et adaptée à chaque pays est préférable à la règle de dépense parfois proposée, ancrée sur la variable non observable « potentiel de production ».
Tenir compte des risques liés à l’urgence climatique en favorisant des dépenses à l’efficacité éprouvée
Outre les facteurs macroéconomiques, il faut prendre en considération les risques matériels et de transition liés au changement climatique. Ces risques peuvent remettre en cause la soutenabilité environnementale des activités économiques et donc la stabilité financière.
L’urgence climatique imposant d’accélérer les investissements dans la transition, des hausses maîtrisées des ratios d’endettement ne devraient pas être tabous si ils vont de pair avec des dépenses dont l’efficacité est documentée.
Cette efficacité dépend en particulier des politiques afférentes à la lutte contre le changement climatique qui sont pour l’essentiel des politiques sectorielles. Elles vont nécessiter la mobilisation dans le moyen et long terme de financements publics significatifs sous forme d’investissement, d’aides aux ménages et aux entreprises pour accomplir la transition énergétique, de formation professionnelle. Correctement mesurer l’impact de ces politiques par des indicateurs de résultat est indispensable pour évaluer la pertinence de l’arbitrage investissement dans la transition contre endettement (par exemple, nombre de logements dont l’isolation est accomplie, nombre de salariés d’une industrie carbonée ayant retrouvé un emploi).
Renforcer les stabilisateurs automatiques
La politique budgétaire peut contribuer à la stabilisation de l’économie et, tout au moins, éviter de la déstabiliser en :
- Stabilisant les anticipations des acteurs privés par l’annonce et le déploiement sans discontinuité d’un programme de politique économique et budgétaire en soutien des transformations requises pour réaliser les objectifs du Pacte vert européen , notamment de la réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre ;
- Renforçant les stabilisateurs automatiques des revenus et de l’emploi ;
- Renforçant les mécanismes de prévention et de sécurité collective, notamment pour faire face aux nouveaux risques environnementaux pour lesquels une assurance n’existe pas ou n’est pas accessible à tous
- Anticipant le risque qu’un soutien insuffisant en période de recul de l’activité économique peut avoir des effets durables sur les capacités productives (hystérèse)
Le cadre budgétaire prévoirait une flexibilité suffisante permettant de soutenir ou contraindre la demande sur base d’un jugement fondé sur une série d’indicateurs macroéconomiques reflétant les tensions qui s’exercent sur les capacités de production dans différents secteurs de l’économie : chômage, pressions inflationnistes sur les prix et salaires, comptes extérieurs et d’une analyse de la source spécifique d’instabilité. Le recours à des variables non observables, comme l’« output gap » pour estimer la position cyclique doit être abandonné en raison des faiblesses méthodologiques de ces concepts et de leur incommunicabilité dans le débat démocratique.
Question 3
What is the appropriate role for the EU surveillance framework in incentivising Member States to undertake key reforms and investments needed to help tackle today and tomorrow’s economic, social, and environmental challenges while preserving safeguards against risks to debt sustainability?
Quel rôle le cadre de surveillance européen peut-il jouer pour inciter les États-membres à entreprendre les réformes et les investissements nécessaires pour se confronter aux défis économiques, sociaux, et environnementaux d’aujourd’hui et de demain tout en se préservant contre les risques de non-soutenabilité de la dette ?
Réponse
Quel que soit l’accord sur les règles censées garantir la soutenabilité des dettes publiques nationales, il devra inclure la possibilité d’arbitrer entre endettement et dépenses en soutien d’objectifs spécifiques d’intérêt européen prioritaire, comme la transition énergétique, la protection de la biodiversité ou la réalisation du socle des droits sociaux fondamentaux.
Dans le cadre de la programmation budgétaire, les États doivent pouvoir arbitrer entre endettement et dépenses à condition de documenter l’efficacité de ces dernières. L’approche les incitera à mettre en place des modalités de programmation budgétaire orientée sur les résultats et performances et fondées sur des évaluations d’impact social et environnemental.
Les clauses de flexibilité actuelles qui privilégient certaines dépenses liées à des réformes structurelles ou des investissements susceptibles de « renforcer le potentiel de croissance » sont quantitativement insuffisantes et qualitativement insuffisamment spécifiques.
En fonction de la solution pour la règle budgétaire, la réforme pourra être une simple révision des clauses de flexibilité applicables au cas par cas comme celles existantes (« réforme structurelle » et « investissement »), l’introduction d’une « règle d’or verte » excluant systématiquement certaines dépenses du calcul du déficit pertinent, ou toute autre forme adaptée aux nouvelles modalités d’évaluation de la dette et du déficit.
En tout état de cause, les limites quantitatives des clauses de flexibilité actuelles ne sont pas adaptées aux besoins pour faire face à l’urgence climatique. Elles doivent être revues dans le cadre de la révision de l’analyse de la soutenabilité (voir réponse à la question 2).
La question fondamentale et identique dans tous les cas de figure est l’identification ex ante des dépenses à privilégier et dont l’efficacité est à surveiller ex post. S’agissant de budgets nationaux, la méthode choisie ne devra cependant pas impliquer une intrusion excessive du niveau européen dans le détail des dépenses.
L’utilisation d’une taxonomie centrée sur les seules caractéristiques de la dépense, comme l’est la « taxonomie verte » européenne en cours de finalisation ou la taxonomie utilisée dans le cadre de la Facilité Relance et Résilience n’est pas adaptée. S’agissant d’une dépense publique, son impact dépend du comportement de nombreux acteurs et des mesures réglementaires, administratives et fiscales qui l’accompagnent. C’est l’évaluation de cet impact qui doit être décisive.
Les dépenses d’investissement public et d’aides aux ménages, entreprises et salariés, poursuivant un objectif spécifique du Pacte vert européen bénéficieront d’une clause de flexibilité lorsqu’elles s’inscrivent dans une politique publique documentée. Des indicateurs de performance et de résultat permettant le suivi de l’efficacité leur sont associés. Il s’agira en général d’indicateurs de performance matériels (exemple : nombre de logements rénovés) ou sociaux (exemple : nombre d’anciens salariés de l’industrie automobile qui ont gardé ou retrouvé un emploi).
Le dialogue avec le niveau européen portera sur la méthode de programmation, la cohérence du plan, le volume des dépenses et les indicateurs de performance. Le cas échéant, la conformité avec des plans nationaux visant des objectifs d’intérêt commun européen comme les Plans Nationaux Énergie Climat ou les Plans d’adaptation au changement climatique devra être assurée.
Question 4
How can one simplify the EU framework and improve the transparency of its implementation?
Comment simplifier le cadre européen et améliorer la transparence de sa mise en oeuvre ?
Réponse
La simplification du cadre améliorera sa légitimité et son efficacité. L’opportunité de remplacer par une seule les procédure de prévention de déficits excessifs et des déséquilibres macroéconomiques a été exposée en réponse à la question 1.
Deux autres chantiers de simplification doivent être envisagés :
Fusionner en un Programme national de transition et budgétaire (PNTB) unique les deux programmes que les États membres sont tenus de présenter, le programme budgétaire de stabilité ou convergence, d’une part, et le programme de réformes de l’autre. Focaliser le PNTB sur sa contribution aux objectifs européens.
Cette fusion n’est pas seulement souhaitable par sa contribution non négligeable à la simplification et à la transparence du processus de coordination. Le fait que les États-membres soient tenus de transmettre deux documents distincts, un « programme national de réformes » et un « programme budgétaire de stabilité et/ou de convergence », est un obstacle au développement d’une vision cohérente du cadre macroéconomique et des politiques économiques et budgétaires sous-jacentes.
Le PNTB serait soumis en avril de chaque année en remplacement des deux programmes nationaux « de réformes » et « de stabilité/convergence ». Il sera validé par le conseil, après avis du parlement européen, et consultation des partenaires sociaux et de la société civile, sur proposition de la commission. Il devrait mettre avant tout en évidence la contribution des politiques nationales à la réalisation des objectifs spécifiques du Pacte vert européen comme celle des objectifs sociaux agréés au niveau européen ainsi qu’à la stabilisation de l’économie européenne sans rentrer dans le détail de ce qui relève essentiellement de choix politiques nationaux.
Le programme présenté par les États membres inclura des indicateurs de risques associés à des seuils d’alerte adaptés aux spécificités du pays. Le dépassement de ces seuils indiquerait des déviations par rapport au programme pouvant conduire à un déséquilibre économique potentiellement insoutenable, par exemple le niveau de la charge d ’intérêt sur la dette publique, le taux des emprunts publics, le taux de chômage ou d’inflation, des retards dans la transition énergétique. Il déclenchera une procédure européenne évaluant si la raison en est une cause exogène et si une action corrective s’impose.
Assurer la transparence et la solidité des méthodes
La règle actuelle fondée sur le respect de deux indicateurs, le niveau de déficit et de dette publics, n’a que l’apparence de la simplicité. Dans la réalité, son application a nécessité de développer une codification et des calculs de plus en plus complexes et qui ne sont accessibles qu’à une poignée de spécialistes. Elle a en outre conduit à recourir de façon croissante à des clauses de flexibilité et à un jugement discrétionnaire.
Cependant, la complexité des phénomènes économiques et les incertitudes qui les grèvent ne permettent pas d’espérer pouvoir établir une règle simple dont l’application serait adaptée à chaque pays à tout moment et garantirait la stabilité. L’évaluation d’une orientation budgétaire doit recourir à un cadre d’évaluation à plusieurs variables et ne peut pas évacuer un jugement sur les risques qui relève du politique et donc d’un consensus au niveau européen.
Il est d’autant plus important de garantir la transparence et la fiabilité des méthodes, comme l’abandon de toutes les variables non observables, y compris du « potentiel de production ».Le recours à cette variable non-observable, censée être une norme permettant de définir la croissance du PIB dans à moyen/long terme et de définir à court terme un niveau d’activité économique « normal » a montré toutes ses faiblesses empiriques et théoriques et est politiquement contestable et contesté. Les faiblesses de cet indicateur vont s’aggraver dans la mesure ou la transition énergétique va impliquer des bouleversements des modes de production et de consommation dans leur ampleur et dans leur nature qui sont inédits et largement imprévisibles sur base de projections du passé.
Lorsque des projections sont nécessaires pour guider les politiques budgétaires, elles doivent s’exprimer sous forme d’intervalles ou de scénarios, marquant le degré d’incertitude ou leur caractère normatif. Ceci vaut tout particulièrement pour la projection de croissance du PIB, une variable clé des projections budgétaires, soumise à de nombreuses incertitudes dans le court, moyen et long terme, et qui dépend de nombreux choix politiques, notamment en matière d’emploi.
Dans un contexte d’incertitudes grandissantes et de possibilités d’évènements extrêmes, l’honnêteté intellectuelle et la qualité du débat démocratique nécessitent de distinguer clairement entre ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas, y compris les difficultés à ce jour à intégrer dans les modèles macroéconomiques l’énergie et les boucles de rétroaction économie-environnement.
Question 5
How can surveillance focus on the Member States with more pressing policy challenges and ensure quality dialogue and engagement?
Comment mettre le focus de la surveillance sur les États-membres présentant les défis de politique les plus urgents et assurer la qualité du dialogue et de l’engagement ?
Réponse
Focaliser la surveillance sur les défis les plus urgents est un objectif à saluer. Cela permettra de réduire le degré d’interférence du niveau européen dans les choix politiques nationaux et accroitra la légitimité de la procédure.
La définition des « défis les plus urgents » doit faire l’objet d’une attention particulière. Ils peuvent être de long à très long terme et nécessiter une attention permanente (soutenabilité de la dette, cohésion sociale, progrès vers la neutralité carbone, protection de la biodiversité) ou résulter de circonstances exceptionnelles affectant tous les pays de l’Union ou seulement un nombre limité (crise sanitaire, catastrophes naturelles).
Des clauses de flexibilité pour circonstances exceptionnelles existent et doivent être conservées.
Certaines des propositions en réponse aux questions précédentes permettraient une analyse différenciée de l’urgence relative des défis de façon à pouvoir leur apporter des réponses cohérentes adaptées aux spécificités de chaque pays:
Remplacer les procédures de prévention de déficits excessifs et de déséquilibres macroéconomiques (PDM) par une seule procédure, la procédure unique de soutenabilité économique, sociale et environnementale (question 1). Les indicateurs seraient des seuils alertant sur une déviation par rapport au programme national. Une alerte enclencherait un processus devant déboucher sur un jugement partagé au niveau européen sur la nécessité d’actions correctives. Cette nécessité serait fondée sur une analyse précise des risques que fait peser la déviation sur la stabilité de l’économie européenne et sur la réalisation des objectifs d’intérêt commun. (Question 1)
Remplacer les objectifs trop vagues de « croissance soutenable » et « stabilité macroéconomique » par des objectifs spécifiques, mesurables et pertinents agréés au niveau européen parce que d’intérêt commun (Question 1) ; fusionner les programmes de stabilité/convergence et de réformes que les États-membres doivent présenter en un « programme national de transition et budgétaire » avec un focus sur de tels objectifs (Question 4)
Adopter des programmes budgétaires réalistes tenant compte des niveaux actuels d’endettement public (Question 2)
Retenir que des retards dans l’investissement dans la transition énergétique ont un impact macroéconomique et font peser des risques croissant sur la soutenabilité économique et financière en raison des risques matériels et de transition qu’ils impliquent (Questions 1, 2, 3)
Revisiter la liste des facteurs pertinents à prendre en considération en appliquant TFUE 126, notamment les besoins liés à la lutte contre le changement climatique dans le respect de la justice infra- et intergénérationnelle, les interactions avec les politiques monétaire et salariale, la contribution potentielle de chaque pays à redresser des déséquilibres macroéconomiques externes, et l’existence de mécanismes de solidarité européens (Question 1)
Question 6
In what respects can the design, governance and operation of the RRF provide useful insights in terms of economic governance through improved ownership, mutual trust, enforcement and interplay between the economic and fiscal dimensions?
En quoi la structure, la gouvernance et les modalités opérationnelles de la Facilité Relance et Résilience (FRR) fournit-elle une vision utile en terme de gouvernance économique au travers d’une appropriation améliorée, confiance mutuelle et interaction entre la dimension économique et la dimension budgétaire ?
Réponse
Il est de toute évidence trop tôt pour tirer toutes les leçons sur les résultats de la FRR et sur sa capacité à orienter les économies européennes sur les objectifs de transition qui lui sont assignés.
Quelques remarques peuvent cependant être faites :
Pour les raisons invoquées en réponse aux questions 3 et 5 l’intégration dans un seul document des engagements budgétaires et sur des « réformes structurelles » pratiquée dans le cadre de la FRR est un exemple à suivre. Les programmes annuels de stabilité/convergence et de réformes seraient remplacés par un unique « Programme national de transition et budgétaire ». Ce programme mettrait avant tout en évidence sa contribution aux objectifs européens, en particulier la transition énergétique. L’accent serait mis sur les politiques et engagements budgétaires nécessaires sur le long terme pour accomplir les transitions prévues dans le Pacte vert pour l’Europe.
L’adoption du programme FRR et son acceptation par les partenaires européens conditionnaient des financements supplémentaires Cela semble avoir donné lieu dans quelques pays, malgré l’urgence, à des débats substantiels sur l’utilisation des fonds et les mesures devant les accompagner. La nouvelle gouvernance économique devrait ouvrir un espace permettant un arbitrage entre endettement et dépenses sous réserve d’efficacité. Une gouvernance similaire à celle choisie pour la FRR serait être retenue pour l’adoption et la validation au niveau européen du « Programme national de transition et budgétaire » (PNTB). Le PNTB préparé par chaque pays serait validé par le conseil sur proposition de la commission. Une approche contractuelle se substituerait à celle en vigueur basée sur des recommandations du niveau européen vers les niveaux nationaux et permettrait de clarifier les responsabilités.
L’implication des partenaires sociaux et des organisations de la société civile dans l’élaboration des Plans nationaux devra être effective, transparente et équilibrée. Une évaluation pays par pays des pratiques à cet égard sous la FRR s’impose.
Les modalités d’évaluation de l’efficacité des plans ne pourra pas être celle utilisée dans la FRR qui ne s’inscrit pas ou qu’à la marge dans une démarche d’évaluation des résultats et des performances. Elle devra s’opérer sur base d’un suivi d’indicateurs de résultats spécifiques et d’évaluations d’impact, et non par catégorisation des dépenses (voir aussi réponse à la question 3).
Question 7
Is there scope to strengthen national fiscal frameworks and improve their interaction with the EU fiscal framework?
Quelles sont les possibilités pour renforcer les cadres budgétaires nationaux et améliorer leur interaction avec le cadre budgétaire de l’UE ?
Réponse
Nous référons à la définition retenue par la commission par exemple dans le document « Public finance in EMU » de 2010 chapitre 3). Selon cette définition, les cadres budgétaires nationaux incluent (1) les règles budgétaires numériques, (2) les institutions budgétaires indépendantes (3) les procédures budgétaires régissant la préparation, l’approbation et la mise en œuvre des plans budgétaires. et (4) les cadres budgétaires à moyen terme (CBMT) pour la planification budgétaire pluriannuelle.
Les incertitudes et les défis de la transition ont significativement affaibli, si non anéanti, la capacité de règles budgétaires numériques à orienter rationnellement les politiques budgétaires.
Les institutions budgétaires nationales peuvent utilement éclairer des choix nationaux, mais leur rôle restera nécessairement limité dans la mesure où il revient aux gouvernements de trouver l’équilibre politique entre approbation au niveau national et validation au niveau européen.
Il est en revanche légitime et indispensable que les institutions européennes interagissent fortement avec les autorités nationales pour garantir des standards minima élevés sur les procédures de programmation, mise en oeuvre et de suivi des résultats ainsi que de la programmation à moyen et long terme. Au-delà de la question de bonne gouvernance budgétaire et de lutte anti-corruption, ceci est d’intérêt commun parce que les pays européens sont engagés collectivement dans la lutte contre le changement climatique qui nécessite des politiques économiques et budgétaires de nature inédite et portant sur le long à très long terme.
Par ailleurs, l’implication d’institutions indépendantes aux niveaux nationaux et européen en charge de donner un avis sur l’efficacité des politiques menées pour la transition énergétique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de leur conformité avec les engagements européens est souhaitable.
Question 8
How can the framework ensure effective enforcement? What should be the role of pecuniary sanctions, reputational costs and positive incentives?
Comment le cadre peut-il garantir le respect des règles ? Quel devrait être le rôle respectif de sanctions financières, de coûts de réputation et des incitations positives ?
Réponse
Il faut d’abord souligner que les règles seront d’autant mieux respectées qu’elles seront intelligentes, communicables dans le débat démocratique et qu’elles orientent les politiques budgétaires sur des objectifs largement partagés.
En tout état de cause, des sanctions financières sous forme d’amendes ne sont pas opérationnelles entre États de l’Union. Des sanctions financières sous forme de suspension de l’accès au budget européen ne sont pas non plus souhaitables car elles risquent d’interrompre à un coût élevé des programmes utiles.
Des incitations positives sous forme d’accès à des facilités orientées sur le moyen/long terme ou sur des mécanismes de soutien à court terme sont efficaces sous réserve de la qualité des programmes demandés et des conditions mises. Il est important d’agir de façon préventive et donc de disposer d’un instrument facilement mobilisable permettant de lisser le financement de programmes d’intérêt européen commun. L’expérience a montré qu’attendre l’éclatement de la crise, conduit à des solutions plus coûteuses, financièrement et politiquement.
Les coûts de réputation qui sont d’ailleurs souvent associés à des sanctions par le marché sont imprévisibles dans leur impact. Selon la constellation politique, ils peuvent jouer un rôle modérateur ou, au contraire, renforcer les conflits politiques au sein du pays en cause et entre les pays, et aggraver la situation. Une approche coopérative, financièrement et politiquement équilibrée, s’impose en tout état de cause.
Question 9:
In light of the wide-ranging impact of the COVID-19 crisis and the new temporary policy tools that have been launched in response to it, how can the framework – including the Stability and Growth Pact, the Macroeconomic Imbalances Procedure and, more broadly, the European Semester – best ensure an adequate and coordinated policy response at the EU and national levels?
Compte tenu de l’impact de grande ampleur de la crise COVID-19 et des nouveaux outils politiques temporaires qui ont été lancés en réponse à celle-ci, comment le cadre – y compris le pacte de stabilité et de croissance, la procédure relative aux déséquilibres macroéconomiques et, plus largement, le semestre européen – peut-il garantir au mieux une réponse politique adéquate et coordonnée aux niveaux européen et national ?
Réponse :
A l’heure de rédaction de ces réponses , des incertitudes importantes existent encore sur l’évolution de la crise sanitaire et ses conséquences économiques, financières, sociales. Il est peu probable que ces incertitudes se résolvent rapidement au cours de 2022.
Dans ces conditions, il n’est pas souhaitable de réintroduire des règles budgétaires et de coordination des politiques économiques suspendues début 2020 avant qu’elles n’aient été profondément réformées dans le sens préconisé dans cette contribution.
Il s’agit pour l’essentiel que le cadre budgétaire et de coordination des politiques économiques tienne compte des spécificité de chaque pays, détermine des chemins de déficit et de dette réalistes et intègre pleinement l’urgence du Pacte vert européen.
Question 10
How should the framework take into consideration the euro area dimension and the agenda towards deepening the Economic and Monetary Union?
Comment le cadre devrait-il prendre en considération la dimension de la zone Euro et l’agenda vers un approfondissement de l’Union Économique et Monétaire ?
Réponse :
- La gestion macroéconomique de la zone euro, comme de toute zone monétaire, doit prendre en considération le dosage politique budgétaire / politique monétaire. En l’absence d’un budget central substantiel, ce dosage est déterminé par l’agrégation de budgets nationaux qui doivent de ce fait être coordonnés. Il continuera de revenir à la commission européenne de signaler les risques de déséquilibres entre les pays de la zone Euro ainsi qu’un dosage sub-optimal politique monétaire/budgétaire. Et il revient à chaque pays de prendre ses responsabilités pour que les ajustements de politique, y compris budgétaires, soient symétriques.
- À la lumière de l’expérience de la dernière décennie caractérisée par une intervention substantielle de la BCE sur le marché obligataire public, les questions liées à l’efficacité de la politique monétaire pour orienter les flux de crédit vers les investissements soutenant la décarbonation de l’économie, l’interdiction du financement monétaire direct ne devrait plus être considérée comme une question taboue.
- L’expérience a montré les réticences de nombreux pays à des instruments financiers centraux dont la finalité première se limite à l’amortissement de déséquilibres macroéconomiques.
- La légitimité d’un instrument financier européen doit d’abord être trouvée dans la production d’un bien commun. La lutte contre le changement climatique en est un. La pérennité des programmes d’action dans tous les pays européens est nécessaire au succès de cette entreprise de longue haleine. Cette configuration plaide en faveur d’un instrument financier pérenne inspiré, sous réserve d’une évaluation, de la FRR et intervenant pour lisser le financement et la mise en oeuvre de ces programmes d’action.