[#FiscalMatters] Que faire des règles budgétaires européennes? Entretien avec Margarida Marques

Crédits photo : European Parliament

Greentervention et GRASPE organisaient le 5 mai dernier un webinaire sur le thème « Que faire des règles budgétaires européennes » avec Margarida Marques, députée européenne, co-rapporteur MFF, ancienne secrétaire d’État du Portugal pour les affaires européennes, Vice-présidente de la commission affaires européennes du parlement portugais et ancienne fonctionnaire de la Commission européenne, mais aussi avec une intervention de Ollivier Bodin, économiste et co-fondateur de Greentervention.

La question – Que faire des règles budgétaires européennes ? – et les réponses apportées par Margarida Marques et Ollivier Bodin, s’incrivent complètement dans le débat de l’initiative #FiscalMatters. Nous vous invitons donc à prendre connaissance du transcript de cette conférence et des nombreux enseignements qu’elle contient.

N’oubliez pas par ailleurs que de nombreux débats, dont certains en français, seront organisés tout au long de la dernière semaine de septembre. N’hésitez pas à vous inscrire ici.

Que faire des règles budgétaires européennes ?

Transcription de la Conférence du 5 mai 2021
Margarida Marques
députée européenne, rapporteur pour la réforme de la gouvernance économique (2021)
avec une intervention de Ollivier Bodin (Greentervention)
Animé par Georges VLANDAS (GRASPE)

Georges VLANDAS

 Je vous propose aujourd’hui de nous poser la question de savoir ce qu’il faut faire des règles budgétaires européennes. Nous nous demanderons si, en cas de modification, leur incidence en sera renforcée sur l’économie réelle européenne. Provoqueront-elles une plus grande transparence dans la prise de décisions et pour la responsabilité démocratique ? 

Pour nous en parler, nous avons le plaisir de recevoir Margarida Marques, député européenne et rapporteuse du rapport d’initiative dont nous allons parler. Margarida nous est connue de longue date. Ce n’est pas la première fois en effet qu’elle nous honore de sa présence pour animer des débats organisés par GRASPE. C’est d’abord une militante qui dans sa jeunesse a été secrétaire générale de la jeunesse socialiste au Portugal, puis elle est devenue fonctionnaire européenne, co-rapporteuse pour le cadre financier pluriannuel (CFP), ancienne secrétaire d’État portugaise pour les Affaires européennes, vice-présidente de la commission des Affaires européennes du Parlement portugais et, pour la petite histoire, nous étions elle et moi syndiqués dans le même syndicat. 

Merci d’être fidèle à notre partenariat chère Margarida, ce qui nous honore, et de nous éclairer sur un dossier dont va dépendre grandement l’avenir de la construction européenne et, par là même, également celui de la fonction publique européenne. Nous aurons avec nous dans le rôle de second intervenant Ollivier Bodin, lui aussi ancien fonctionnaire européen, cofondateur de Greentervention et membre du comité de rédaction de la revue GRASPE. Merci aussi à Jean-Paul Soyer qui était le secrétaire général de la revue GRASPE et qui nous permet de fonctionner grâce à cette plateforme de visio-conférence. 

Margarida, je te cède la  parole pour 20 ou 30 minutes, et après une première intervention de 10 minutes d’Ollivier, il y aura un débat avec la salle. La réunion est enregistrée et fera l’objet d’un compte rendu. 

Margarida MARQUES

Merci Georges, bonjour chers collègues – je dis « collègues » parce que je suis de la maison –. Merci pour cette opportunité. Je suis sûre qu’autour de la table certains auront des positions différentes et qu’ils connaissent bien le sujet, mais nous sommes tous bien conscients des difficultés auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui. 

Pour commencer, j’aimerais rappeler le titre du rapport : examen du cadre législatif macroéconomique pour une incidence renforcée sur l’économie réelle européenne et une plus grande transparence de la prise de décisions et de la responsabilité démocratique, c’est un rapport d’initiative qui au départ a un scope très élargi. 

La Commission a lancé un processus de débat public sur la révision des règles de gouvernance économique en février 2020, et ce débat public a été suspendu après la pandémie et surtout au moment où la Commission a proposé de suspendre la general escape clause, c’est-à-dire de suspendre certains des critères du pacte de stabilité et de croissance, notamment ceux liés à la dette et au déficit. C’était le minimum, parce qu’il aurait sinon été clairement impossible pour les pays de répondre aux demandes provoquées par la pandémie depuis son début, pour qu’ils puissent sauver des vies, des entreprises, des emplois, et aider les gens pour leurs salaires par exemple avec des mécanismes comme le SURE, etc. Il aurait été impossible pour les États membres de répondre d’un côté à toutes ces demandes, et d’un autre de respecter les critères de la dette et du déficit qu’impose le pacte. Il a donc été intelligent, nécessaire, essentiel, d’activer la general escape clause. C’est pourquoi le débat a été suspendu, et la Commission a l’intention de le relancer en automne – on ne sait pas exactement selon quelles modalités – pour mettre sur la table le dossier législatif ou le paquet législatif – je ne sais pas si c’est une seule initiative ou si c’est un paquet – et ainsi dès la fin de cette année d’initier la procédure législative. Le Parlement européen a donc décidé maintenant de mettre sur la table ce rapport, d’abord pour trouver une position commune à l’intérieur du Parlement européen dans le cadre de l’agenda des séances plénières du mois de juin ou juillet, ensuite pour influencer le débat européen en tant qu’institution européenne, un débat qui d’ailleurs n’a jamais été interrompu (au Comité des régions, par exemple). 

Nous commençons maintenant à voir des petits signes de reprise, mais nous sommes bien conscients que les risques de divergences augmentent. Divergences en termes de reprise, entre les pays et même à l’intérieur des pays entre les différents secteurs d’activité, et divergences au sein des sociétés avec des risques croissants d’inégalités, car les plus vulnérables tels que les jeunes, les travailleurs peu qualifiés et les femmes, ont été particulièrement gravement touchés par cette crise. À moyen terme, la perte attendue de cette crise peut donc être inférieure à celle de la crise financière mondiale précédente, parce que la réponse européenne sera différente. Nous avons eu une politique monétaire accommodante, associée à un solide soutien budgétaire qui a joué un rôle important, en aidant les ménages, les entreprises, et en évitant des baisses significatives des emplois, des ressources, et des revenus des familles. Il appartient désormais à tous les gouvernements d’accélérer l’exécution des plans de relance. Pour cela, la ratification de la décision relative aux ressources propres est urgente. Jusqu’à maintenant, il y a encore huit États membres qui n’ont pas ratifié la décision relative aux ressources propres qui permet à la Commission d’aller sur les marchés pour créer le fonds de relance, le NextGenerationEU

La révision de la gouvernance économique de l’Union européenne est donc une discussion de long terme. Néanmoins, il est très difficile de dissocier l’avenir de la gouvernance économique de la reprise économique. J’estime qu’il faudra du temps avant que nous n’établissions de nouvelles règles budgétaires. De plus, je considère que c’est une erreur de se concentrer sur les règles budgétaires, qui se sont avérées inadéquates dans le passé. Leur application, aujourd’hui, a encore moins de sens. Un an plus tard, je crois que plus notre idée de la reprise économique de l’Union européenne est claire, plus nous devrions lancer une discussion sur la gouvernance économique de l’Union européenne et les règles budgétaires de l’Union européenne. Pour réformer les règlements actuels, il faut un capital politique fort, et j’espère que les États membres sont prêts à l’acquérir. S’il est prématuré de proposer à ce stade une solution pour les règles budgétaires, il est temps d’entamer une discussion sur les types de politiques budgétaires que nous attendons pour l’avenir, les objectifs des règles budgétaires, et les principes de la gouvernance de la politique économique de l’Union européenne.

Pour une reprise robuste et plus forte, la vaccination doit être la priorité, mais nous devons mettre en même temps en place différents instruments pour garantir une reprise plus juste, plus verte, et plus inclusive. Comme l’a dit la présidente du FMI : We all need a fair shot. Nous assistons à une reprise à plusieurs vitesses, avec des risques financiers et des inégalités potentielles. La politique budgétaire doit continuer à soutenir les ménages et les entreprises, mais une fois que la pandémie commencera à être contenue, le soutien budgétaire devra se poursuivre d’une manière flexible, ciblée, et opportune. Si nous voulons lutter contre les inégalités, il est important que nous ciblions les groupes les plus vulnérables et que nous les soutenions par exemple par des mesures pour l’emploi et l’acquisition de qualifications. Si nous voulons que les entreprises viables ne disparaissent pas, nous devons nous assurer que nous avons les moyens financiers de les soutenir et les gouvernements devraient probablement commencer à penser à passer de la liquidité au soutien des fonds propres. Nous devons trouver des moyens pragmatiques pour cette période de transition. Nous devons nous assurer de ne pas créer de nouvelles divergences et pour cette raison il est important d’utiliser toute la flexibilité possible de la boîte à outils budgétaire actuelle. C’est pourquoi dans le rapport, je préconise de placer la reprise en premier, et les règles en second lieu. Nous avons besoin d’un accord qui, de mon point de vue, reconnaisse les différents choix de reprise entre les États membres, c’est-à-dire qui reconnaisse la diversité : un accord qui montre l’importance de la conception des questions de politiques budgétaires, c’est-à-dire spending, but spending it right

Nous sommes sur le point de commencer un débat sur la révision du pacte de stabilité et de croissance. Il sera vraisemblablement conclu après les élections allemandes, ou même après les élections françaises. Il faut tenir compte du fait que les élections françaises auront lieu immédiatement après que la proposition législative de la Commission sera présentée. Il est temps maintenant de lancer une discussion ouverte, qui nous permette d’avoir une meilleure compréhension commune des principaux défis à venir ainsi que des différentes propositions à la fois réalisables et efficaces. Nous avons besoin des règles budgétaires, mais nous avons besoin des règles crédibles, applicables, flexibles, et qui en fin de compte servent leur objectif : la croissance. Afin de convenir des principes que les futures règles budgétaires devraient envisager, il est également important de reconnaître que les circonstances ont changé complètement depuis Maastricht. Ces changements n’ont pas été causés par la pandémie. L’Europe était déjà en difficulté, et affrontait des défis propres à notre époque dans une position de fragilité. Comme de nombreuses économies avancées, l’Europe a été embourbée par une stagnation circulaire, piégée dans un équilibre de faible croissance et d’inflation. L’investissement est à des niveaux très bas, et l’investissement public net a été proche de zéro pendant la majeure partie de la dernière décennie. 

Nous avons besoin d’un cadre budgétaire de l’Union réorganisé. Dans les limites de compétences des traités, je propose trois points pour la réorganisation de ce cadre budgétaire de l’Union européenne. Le premier : un ancrage unique de la dette, afin de réduire les ratios d’endettement élevés sur une période de temps réaliste et raisonnable, et de manière différenciée en fonction du niveau d’endettement existant des États membres. Deuxième principe : un indicateur unique de performances budgétaires, c’est-à-dire une règle en matière de dépenses, pour les pays dépassant un certain seuil de ratio de dette publique. Et troisième principe : une clause dérogatoire unique remplaçant certains éléments de flexibilité qui ont été introduits depuis que le cadre budgétaire a été créé. Comme je le disais, il faut faire tout cela, avec des règles définies, transparentes, simples, flexibles et applicables. Les règles doivent être intégrées dans un cadre crédible et démocratique, en cohérence avec les priorités politiques à long terme de l’Union européenne, toujours en tenant compte des diversités et spécificités des États membres. 

Une première question doit être soulevée : comment travailler avec l’investissement pour d’abord donner suite aux priorités européennes, je pense par exemple au Green Deal (le pacte vert), ou encore au pilier européen des droits sociaux et à d’autres défis européens. Comment trouver cette cohérence entre investissement et priorités politiques ? L’investissement public est une pièce centrale de ce puzzle. Des investissements sont indispensables dans les communautés, pour fournir des services publics meilleurs, plus efficaces, pour soutenir une transformation durable et inclusive, et pour favoriser la résilience des services publics de santé. L’investissement public ne peut pas continuer à être retardé indéfiniment. L’amélioration de la qualité des dépenses publiques stimulera la croissance potentielle des économies de l’Union européenne : l’éducation, pour augmenter le capital humain et réduire les inégalités ; la recherche pour promouvoir, favoriser, l’innovation et la productivité ; la transition écologique pour aborder l’adaptation et l’atténuation des changements climatiques ; l’infrastructure digitale pour augmenter la capacité de production et la capacité des personnes avec des compétences pour cette transition digitale ; et l’investissement social pour soutenir les plus vulnérables. 

Le soutien extraordinaire a placé la dette publique au plus haut niveau de l’Histoire. Néanmoins, la dette publique de la zone euro se situait déjà à des niveaux très élevés. Entre 1999 et 2019, les dettes publiques ont augmenté en moyenne de 20 points de PIB dans les 11 plus anciens membres de la zone euro, et la dernière année la moyenne de la dette dépassait déjà les 100 %. Cela nous amène à la nécessité de redéfinir une nouvelle conception de la viabilité de la dette : nous devons évoluer vers une évaluation plus large et transparente de la viabilité de la dette qui intègre la notion du service de la dette, de la croissance, des risques importants, et qui permette des voies de réduction de la dette différenciées.

D’ailleurs, le dernier rapport de la Commission pour l’avenir des finances publiques est un exercice important pour ce débat. Une plus grande transparence est un élément important pour l’évaluation de la dette. L’une des mesures proposées est d’approfondir le débat parlementaire pour une plus large appropriation démocratique des enjeux des finances publiques. Je trouve qu’une telle proposition mérite d’être développée plus tard. Nous devons aussi accomplir l’union économique et monétaire. L’union monétaire est aujourd’hui mieux équipée qu’elle ne l’était il y a dix ans, bien que les initiatives récentes en particulier le SURE et le NextGenerationEU aient été envisagées comme temporaires, les concepts sous-jacents à leurs conceptions sont remarquables et doivent rester dans notre boîte à outils à l’avenir. Je souligne bien cette expression, je n’ai rien dit de plus que « doivent rester dans notre boîte à outils à l’avenir ». Cette crise a aussi mis en évidence la nécessité d’une capacité fiscale permanente. 

Le semestre européen est le principal cadre de coordination des politiques économiques et sociales, il doit soutenir le pacte vert européen, en tant que nouvelle stratégie de croissance durable de l’Union européenne visant la convergence vers l’euro, en intégrant pleinement le socle européen des droits sociaux. Il y a un sommet social ce week-end à Porto pour apporter un plan d’action pour le pilier européen des droits de sociaux et nous n’avons pas les conditions pour mettre en œuvre ce plan d’action, c’est insensé. Il faut vraiment avoir ces conditions pour mettre en œuvre ce plan d’action. 

Certains « traditionalistes » – et je ne souhaite choquer aucun participant – hésitent encore beaucoup à inclure la dimension de durabilité dans le semestre. Moi, je n’hésite pas. Le changement climatique est un problème mondial et nous devons intégrer les politiques climatiques dans les politiques macroéconomiques. Le manque d’appropriation a été l’une des principales faiblesses du semestre européen ces dernières années. Le fonds de relance et les plans de relance ancrés sur le semestre européen devraient nous donner quelques leçons permettant une amélioration du semestre européen en augmentant sa participation au niveau national. 

La pratique au sein des institutions : la pratique habituelle est d’apprendre sur la base des bonnes pratiques. On souhaite que le NextGenerationEU, les plans de relance, représentent ces bonnes pratiques et que nous puissions en tirer des leçons. Le semestre devra donc inclure un ensemble d’objectifs à long terme et des orientations au niveau de l’Union ; refléter dans les plans nationaux des recommandations politiques sur une variété d’objectifs politiques qui devraient cependant permettre des choix politiques nationaux reflétant les priorités des États membres et avoir un dialogue politique ouvert et inclusif entre l’Union européenne et les institutions et les parties prenantes nationales. Le Parlement européen joue son rôle dans la définition des objectifs primordiaux et exerce un contrôle démocratique avec les parlements nationaux. Le contrôle du semestre européen est exercé par les parlements nationaux, mais il ne suffit pas de dire que les parlements nationaux ont leur mot à dire. De véritables pouvoirs pour renforcer leur implication et le débat au sein des parlements nationaux devraient aussi être envisagés pour augmenter la transparence, et assurer la démocratie. 

Un autre élément de la démocratisation de ce processus est le dialogue social, qui est important pour renforcer l’appropriation, la confiance et la légitimité démocratique. J’aimerais bien voir le dialogue macroéconomique au niveau européen revigoré et qu’il se tienne avec des représentants des gouvernements, les fédérations patronales et syndicales des États membres. Cela a d’ailleurs été une pratique demandée par les institutions nationales aux gouvernements nationaux pour préparer les plans de récupération et de résilience. 

En outre, il est aussi important de prévoir un échange régulier avec la BCE et les banques centrales nationales. Tout en abordant la question de la reprise, il est temps de réfléchir aux types de gouvernances économiques que nous envisageons. La pandémie devrait nous sensibiliser davantage aux défauts de l’union économique et monétaire. Il faut renforcer la résilience, mieux construire.

Avant de terminer, j’aimerais encore ajouter deux points que je propose dans mon rapport : le premier, c’est une proposition qui n’est pas du tout innovatrice, elle est bien traditionnelle, c’est de promouvoir la transparence, d’augmenter la transparence de l’Eurogroupe. C’est pourquoi je reviens sur cette proposition pas du tout novatrice mais nécessaire, qui veut que le président de l’Eurogroupe soit l’un des vice-présidents de la Commission. Enfin, un autre point : il faut demander une nouvelle fois que les mécanismes européens de stabilité soient intégrés dans le droit de l’Union européenne selon la méthode communautaire.

Je vous ai donc parlé des défis que nous avons et qui ont constitué un peu le l’enjeu politique pour la préparation de ce rapport, mais j’ai bien conscience des difficultés rencontrées en tant que rapporteuse de ce rapport d’initiative du Parlement européen. Nous travaillons depuis longtemps déjà avec les shadow rapporteurs pour préparer la présentation du rapport, mais aussi pour la phase suivante, celle de la préparation des compromis en tenant compte du fait que nous avons presque 500 propositions inscrites dans la demande. 

Une chose est claire : nous avons des propositions, des priorités politiques et des ambitions politiques européennes. Nous avons aussi des recommandations que la Commission européenne a toujours faites aux États membres dans le cadre du semestre européen. Cette fois-ci, nous avons les deux, et l’argent pour les réaliser. C’est pour cela que je pense que c’est un moment très important pour faire avancer des propositions, des mesures, des réformes que nous défendons depuis longtemps, même si nous avons toujours eu conscience des difficultés pour les mettre en œuvre, notamment celles liées au fait qu’il n’y a pas de ressources financières. Cette fois-ci, il y a des propositions et des ressources, voilà pourquoi les défis et les opportunités sont encore plus importants. 

Merci. 

Georges VLANDAS

Merci Margarida. Avant de donner la parole à la salle, je vais demander à Ollivier Bodin, membre du comité de rédaction de GRASPE et cofondateur de Greentervention, de faire une intervention de 10 minutes. 

Merci à vous. 

Ollivier BODIN

Merci beaucoup de me donner cette opportunité, et surtout merci à Margarida Marques de porter cette question de la réforme des règles budgétaires et du cadre de la gouvernance économique à la connaissance du public, parce que c’est en effet une question hautement politique comme on peut le comprendre après ce qu’elle vient de nous dire. C’est surtout une question qui ne doit pas rester confinée dans les cercles des spécialistes de la macroéconomie, comme c’est malheureusement trop souvent le cas. 

Greentervention plaide depuis plusieurs années en faveur de la réforme des règles budgétaires européennes, c’est presque la raison de sa fondation. Par ailleurs l’association fait partie d’une vaste coalition qui travaille au niveau européen et transnational et rassemble des syndicats, des ONG environnementalistes, et de nombreux universitaires. Elle tente de continuer à mobiliser la société civile sur cette question. C’est donc véritablement un moment très important pour le futur de l’Union européenne, pour assurer que les règles budgétaires, règles de coordinations qui devront à un moment donné être de nouveau agréées au niveau de l’Union européenne, ne conduisent pas à des résultats contraires aux objectifs à court et long terme de l’Union européenne. 

La coalition insiste en particulier sur la nécessité de ne pas réactiver les règles budgétaires avant qu’elles n’aient été réformées, elle a déjà eu l’occasion de s’exprimer là-dessus dans une lettre envoyée en janvier aux leaders de l’Union européenne et c’est un point essentiel pour nous, pour différentes raisons : d’une part pour éviter de remettre en vigueur des règles qui ne sont plus adaptées à la situation actuelle, Margarida l’a parfaitement expliqué, et surtout pour éviter d’avoir un rapport de force au moment de la négociation de ces règles.

Je ne veux pas répéter tout ce que Margarida a dit parce que nous partageons 95 % de l’analyse. Je ne vais donc pas tout reprendre, mais une phrase m’a fait sursauter : quand vous avez dit que la durabilité n’est pas évidente pour tout le monde dans la mise en œuvre des règles budgétaires. Ce qui est vraiment préoccupant, c’est que des gens pensent encore que la politique macroéconomique, la politique budgétaire, n’est pas une question de durabilité. Ce que je vais dire maintenant c’est justement que la durabilité devrait être au centre des politiques budgétaires. C’est la position de Greentervention. Finalement, la question qui se pose est assez simple : comment réconcilier le Green Deal et le pacte de stabilité et de croissance ? On a ces deux pactes, en français c’est même le même mot, et il faut voir comment les réconcilier. Le Green Deal, de façon simple, c’est reconnaître que nos activités économiques sont contraintes par les limites des ressources de la planète, en particulier de l’émission des gaz à effet de serre. C’est très clair. Il en découle une équation très simple : il faut que les politiques économiques, réglementaires, budgétaires, fiscales, créent rapidement les conditions d’une croissance économe en énergie, en ressources naturelles, et qui soit décarbonée. Dans ces conditions, cette croissance sera durable. Si ce n’est pas le cas, tôt ou tard les activités économiques seront profondément déstabilisées par la décorrélation de l’environnement et le PIB chutera, et de toute façon dans ce cas-là les conséquences de dérèglement climatique et/ou de l’écroulement de la biodiversité ne se mesureront pas en pourcentages de PIB, ce sera totalement insignifiant, mais plutôt en dommages politiques, sociaux et sociétaux. Lors d’une crise majeure, comme nous l’avons avec la pandémie, ce n’est pas la chute du PIB qui compte, mais les dommages collatéraux, les conséquences de la pandémie sur la santé physique et mentale, sur les relations sociales. Pour la pandémie, nous avons des vaccins, mais si le dérèglement climatique s’accélère, nous n’en aurons pas. Il faut travailler en gardant cette idée en tête. Quand je dis « tôt ou tard », soyons clairs sur ce que cela signifie : ce n’est pas en 2150. Tôt ou tard, c’est ce que mes petits-enfants, qui ont maintenant entre 0 et 15 ans, vivront. C’est demain. C’est le premier point. 

Le deuxième point que j’aimerais souligner, c’est que la transition énergétique, écologique, sociale, surtout si elle est juste – et elle ne pourra exister que si elle l’est – va nécessiter des dépenses publiques supplémentaires. Il ne faut pas se leurrer là-dessus : que ce soit pour les infrastructures, pour la recherche et le développement, les investissements dans la formation professionnelle, les aides pour les ménages par exemple relatives à la transition dans la mobilité, la transition pour l’isolation thermique, pour les compensations des perdants : tout cela va nécessiter des dépenses publiques supplémentaires. Il y a là une équation complexe, et penser qu’on puisse éliminer de la durabilité de la croissance les questions budgétaires est absolument absurde, c’est quelque chose qui me ferait asseoir par terre si je n’étais pas assis sur une chaise. J’ai bien reconnu que Margarida ne partage pas cet avis. 

Maintenant, qu’est-ce que le pacte de stabilité ? Il est fondé sur l’idée que le niveau de la dette publique en pourcentage du PIB est la source majeure d’instabilité. Les règles ont été inscrites dans le traité de Maastricht, les 60 %, etc.. On peut lire tous les documents qu’on veut là-dessus : la source majeure d’instabilité potentielle serait le niveau de la dette publique. Margarida Marques montre bien dans son rapport, et l’a répété aujourd’hui, que ce concept-là doit être à la fois relativisé pays par pays, que ce n’est pas le même dans le temps et qu’il faut considérer la charge d’intérêts, etc. C’est quelque chose qui en soit est déjà contestable, mais dans le cas du pacte de stabilité l’équation devient assez simple : si les politiques économiques, c’est-à-dire les fameuses réformes structurelles invoquées à longueur de documents de la Commission, ne permettent pas d’accélérer la croissance potentielle, alors il faut modérer et réduire les dépenses publiques. C’est l’équation du pacte de stabilité. Comment va-ton faire tenir ensemble ces deux équations : l’équation du Green Deal et celle du pacte de stabilité ? Comment expliquer que dans les règles actuelles, les risques de l’endettement sont surévalués, alors que sont totalement sous-évalués, voire ignorés, les risques environnementaux qui pèsent sur nos sociétés et nos activités économiques ?

C’est donc la première question : comment éviter que les règles budgétaires futures ne surévaluent les risques provenant du niveau d’endettement public, et sous-évaluent complètement les risques et incertitudes provenant d’une insuffisance d’investissements dans la transition écologique ? Il faut voir comment faire un arbitrage entre les dépenses de soutien à la transition et une réduction de l’endettement, et vraiment avoir en tête que les règles actuelles sont biaisées en faveur du  désendettement et contre l’investissement. 

Ensuite, et peut-être y a-t-il ici un point de divergence entre Margarida Marques et moi sur ce point : toute réforme accélérant la croissance n’est pas nécessairement bonne à prendre. Pour éviter de rentrer dans ce piège, je pense qu’il faut regarder dans les politiques sectorielles, dans les secteurs clés pour une transition écologique et énergétique, les politiques sectorielles dans le domaine du bâtiment – c’est-à-dire de l’isolation thermique –, dans le domaine de l’énergie renouvelable, etc. Et ce n’est donc plus à un exercice macroéconomique qu’il faut se livrer. 

Je conclus avec cette question : il faut commencer à prendre en considération que des raisonnements purement macroéconomiques et financiers ne sont pas adaptés à des situations exigeant des transformations structurelles. La macroéconomie qu’on applique ne prend pas en compte, ou très mal, les transformations structurelles nécessaires. Cela doit être véritablement instillé dans les règles budgétaires. Merci. 

Margarida MARQUES

Je peux répondre aux questions d’Ollivier. 

Tout d’abord concernant la cohérence entre le Green Deal et le pacte de stabilité et de croissance : il y a longtemps j’ai pris publiquement, en tant que membre du gouvernement portugais, la position que les critères budgétaires devaient être exactement au même niveau que les critères environnementaux et sociaux. Au même niveau, cela veut dire qu’il y a des objectifs quantifiés comme les critères budgétaires et aussi la capacité des institutions européennes, y compris de la Commission européenne, d’avoir la même capacité de monétiser le respect des targets, des objectifs budgétaires, et la même capacité, les mêmes pouvoirs, pour faire la monétisation des objectifs environnementaux et sociaux. Quand je dis qu’il faut une cohérence, il faut effectivement avoir une règle pour la dette, pour l’investissement, qui soit claire, transparente, et qui permette aux États membres de faire la transition écologique ; donc de respecter le Green Deal. Finalement, le Green Deal est la nouvelle stratégie de croissance. On a eu la stratégie EU 2020 qui était la stratégie précédente et maintenant il y a une nouvelle stratégie de croissance : le Green Deal. On ne peut pas avoir cette stratégie et ne pas avoir une marge de manœuvre pour respecter cette stratégie, c’est pourquoi je propose une règle en matière de dépenses, qui plafonne les dépenses publiques nominales lorsque la dette publique d’un pays dépasse un certain seuil. En ce qui concerne encore la dette, il faut avoir une trajectoire par pays qui devrait découler d’un débat entre chaque État membre et la Commission, en consultation avec le Comité budgétaire européen dans le contexte du semestre européen.

Pour répondre à tes deux questions : d’abord, la cohérence est nécessaire. Il faut une marge de manœuvre pour assurer que les États membres puissent utiliser complètement durant les trois prochaines années les fonds de NextGenerationEU. Avec les anciennes règles et leur respect strict, les États membres auraient des difficultés à l’utiliser pleinement, c’est la première difficulté. Je ne pense pas que l’Union européenne ait créé ce fonds de relance pour les économies européennes, et maintenant il n’y a pas de conditions des États membres pour utiliser cet argent. 

Sur la question de la dette, la deuxième question si j’ai bien compris, c’est vraiment une question complexe. D’abord, parce qu’il y a le traité : je n’appartiens pas au groupe de personnes qui défend que la conférence sur le futur de l’Europe doive changer les traités. Il faut vraiment exploiter les potentialités du traité de Lisbonne. En ce qui concerne la dette, il y a un protocole, une annexe, tout cela dans les traités, mais il peut y avoir un compromis avec des pays, et la règle de 1/20 pour atteindre l’objectif dette c’est une règle qui a été créée dans le cadre d’une situation budgétaire complètement différente où le marché financier, les taux d’intérêt, étaient beaucoup plus élevés qu’ils ne le sont maintenant. La question de la dette aujourd’hui se pose donc d’une façon différente. Je propose cette règle sur la dette, et surtout des trajectoires différenciées accordées avec les États membres ; pas en ce qui concerne l’objectif, target vert, mais en ce qui concerne la période pour atteindre cet objectif, justement pour respecter des compromis politiques et les ambitions politiques de l’Union européenne. 

Georges VLANDAS

Merci Margarida.

J’ai l’impression que toute la problématique expliquée ici est d’essayer de faire mieux dans un cadre qui, lui, est comprimé. S’agissant du plan de relance européen, il a pour but d’apporter 350 Md€ de solutions, et non pas 350 Md€ de dettes. 

Seconde question : serait-il possible de faire un second plan de relance une fois que celui-ci est mis en place ? 

Et ma troisième remarque : aux États-Unis ils n’ont pas toutes ces pudeurs, Biden a fait un plan de relance en deux mois, et un autre qu’il doit faire en trois mois. Je me demande si notre problématique aujourd’hui, d’essayer d’introduire des souplesses, etc., est finalement utile et va produire un résultat ? Finalement cela fait deux ans qu’on parle du recovery plan, et cet assouplissement des règles pour provoquer de la croissance n’est toujours pas mis en place. La dernière fois au Parlement européen lorsque vous aviez fait la négociation sur le cadre financier pluriannuel, vous aviez mis une clause de mi-parcours. Cette fois-ci, il n’y a pas eu de clause de mi-parcours, le budget de Juncker a été quand même consommé dans un contexte particulier où il y avait des besoins croissants, et quant au plan de relance, la part des subventions était réduite au profit des dettes, et on tombe dans la problématique : comment permettre un endettement ? Peut-être n’y a-t-il pas d’autres solutions, c’est à toi de nous le dire, mais je me demande si finalement continuer dans cette voie ne va pas non seulement ne pas provoquer de résultat, mais aussi discréditer cet effort en affichant que le plan de relance n’est pas mis en place depuis deux-trois ans, et qu’il provoque des difficultés.

Je ne sais pas si d’un point de vue politique il ne serait pas mieux de se battre aussi sur autre chose, ce qui n’est pas en contradiction avec ce que tu fais, mais j’ai l’impression que l’assouplissement des règles et leur conditionnalité par rapport à tous ces objectifs risque de ne pas suffire. 

Margarida MARQUES

J’ai noté quatre bonnes questions. 

La première question : un deuxième plan de relance. La présidente Lagarde il y a trois mois a dit que ce plan de relance n’était pas suffisant, et qu’il en fallait un deuxième. J’ai réagi en disant que c’est peut-être trop tôt pour faire cette remarque. Il faut d’abord créer le NextGenerationEU. Il faut encore que huit parlements nationaux ratifient la décision relative aux ressources propres. Dans les huit il y a la Pologne, la Hongrie, la deuxième chambre des Pays-Bas, la Finlande. Pour l’instant ce plan de relance est théorique, donc il faut d’abord créer le fonds de relance, ratifier la décision sur les ressources propres, donner la capacité à la Commission d’aller sur les marchés pour créer le fonds et aussi de négocier les plans de récupération et de relance avec les États membres. Nous avons dans l’idée que peut-être fin juin on pourra signer les plans nationaux et peut-être au mois de juillet l’argent pourrait arriver au soutien des plans. Donc, pour répondre concrètement à ta question : il faut d’abord créer ce fonds, et cela dépend de l’évolution des économies. Bien évidemment, si la pandémie continue avec les variants du virus, cela ne sera pas suffisant, ou encore si le plan de vaccination est trop lent, et quand je parle du plan de vaccination je ne peux pas parler seulement du plan de vaccination de l’Union européenne. Il faut vacciner toutes les personnes dans le monde entier ! Il y a vraiment là un énorme défi, qui a aussi un impact sur les économies et surtout sur tous nos partenaires commerciaux avec lesquels nous faisons du commerce, car ce sont des économies très liées. Donc, il est trop tôt pour répondre à ta question, mais surtout il faut bien constituer ce premier plan de relance pour le cas où on a besoin d’en relancer un deuxième. 

La question de la comparaison avec les États-Unis : je ne soutiens pas ce discours qui voudrait que la réponse européenne est mauvaise et que celle apportée par les États-Unis serait la bonne. On ne peut pas comparer sur la seule base de la réponse et des chiffres. Il y a quand même des systèmes sociaux en Europe qui fonctionnent, il n’y en a pas aux États-Unis. D’ailleurs la Commission européenne a fait un tableau que je trouve très intéressant, rassemblant tous les mécanismes qui ont été activés pour soutenir l’impact de la pandémie à tous les niveaux : La BCE, la BAI, le SURE, la flexibilité des fonds d’usages et structurels… Quand cette comparaison est effectuée, il faut bien comprendre que les ÉtatsUnis n’ont pas de systèmes sociaux, l’Europe en a, qui ont protégé les citoyens. 

La révision de mi-parcours : je suis convaincue qu’il faut faire cette révision de mi-parcours. Nous aurons le NextGenerationEU qui doit être engagé jusqu’en 2026, il y a cette fois-ci un nouvel élément qui n’existait pas dans le cadre précédent 2014-2020 : le NextGenerationEU. Celui-ci est ancré sur le CFP, il y a une ligne budgétaire dette pour les intérêts, une partie du capital du fonds, il y a l’entrée des nouvelles ressources propres, donc il y a trop d’éléments nouveaux pour ne pas faire une révision de mi-parcours.

Et enfin, la question de la flexibilité : il est nécessaire de maintenir cette flexibilité, l’Union européenne a eu la capacité de donner une réponse, pas dès les premiers jours, mais des réponses immédiates à la pandémie en utilisant la flexibilité dans toute sa dimension. La mobilisation d’argent pour soutenir les entreprises, les salaires, les systèmes de santé, pour acheter l’équipement, etc., je pourrais continuer à faire la liste, nous avons pu le faire parce que nous avons utilisé toute la flexibilité des fonds européens. Si la Commission s’était maintenue dans sa rigidité des règlements des fonds, on n’aurait pas pu utiliser cet argent. Il y a eu cette flexibilité du côté de la Commission, mais aussi du côté du Parlement européen qui a pris des décisions en deux jours, alors qu’il faut normalement un ou deux mois, voire plus, pour prendre des décisions de modification des budgets. 

Georges VLANDAS

Merci. Y a-t-il d’autres demandes d’intervention ? 

Catherine VIEILLEDENT-MONTFORT

Qu’en est-il des nouvelles ressources propres ? 

Margarida Marques

Les nouvelles ressources propres c’est-à-dire la taxe sur le plastique, la taxe carbone aux frontières, les ETS, le taxes sur les transactions financières et le taxes sur le digital, ont été clairement au cœur des négociations du cadre financier pluriannuel dont j’étais co-rapporteuse avec mon collègue Jan Olbrycht ; un calendrier contraignant a été mis en place, obligeant la Commission à mettre sur la table des propositions. Bien évidemment, on ne peut pas avoir un calendrier obligatoire pour l’approbation : chaque décision relative aux ressources propres doit passer par les Parlements nationaux, parce que le Parlement européen a une responsabilité sur la façon de dépenser le budget, mais il n’a pas de compétence du côté des revenus. Ces nouvelles ressources propres doivent servir d’abord à compenser le fonds de relance – le NextGenerationEU, capital et intérêts compris –.

La proposition de la Commission était basée sur un chantage positif vis-à-vis des États membres : les États membres ont besoin d’adopter ces ressources propres parce que sinon dans le futur ils devront payer, rembourser l’argent du fonds de relance, entre 2028 et 2058. C’est un chantage positif, et je trouve cela intelligent de la part de la Commission. Ce qui est important, et c’est aussi un acquis de cette négociation, c’est qu’avec ces nouvelles ressources propres, nous aurons dans le futur la capacité de changer la structure de financement du budget de l’Union européenne. C’est aussi un acquis qu’on peut retirer du fait qu’on va créer ces ressources propres avec au moins cette finalité. Donc, la question de la décision : pourquoi les États membres doivent-ils ratifier cette décision sur les ressources propres ?

Justement pour augmenter la marge de manœuvre du financement du budget de l’Union européenne via les ressources propres. Il y a des limites qu’il faut changer, et pour cela il faut la ratification des

Parlements nationaux. Ce n’est qu’au moment où ces limites changent que la Commission pourra aller sur les marchés pour créer le NextGenerationEU. Une fois les nouvelles ressources propres adoptées, cela pourra être un élément novateur dans la structure des sources de financement du budget de l’Union européenne dans le futur, et surtout il ne faut pas laisser tomber cette innovation. 

Sur les responsabilités, bien évidemment il faut des règles, et tenir compte du fait qu’il faut promouvoir l’investissement. C’est pourquoi ce dialogue doit exister avec les États membres et nous devons avoir une règle d’investissement et une règle sur la dette, qui soient différentes des règles que nous avons eu jusqu’à maintenant.

Ollivier BODIN

La meilleure solution serait à terme d’augmenter le budget centralisé, par rapport à des tentatives de coordination des politiques budgétaires qui doivent se faire toujours dans l’intérêt commun in fine et financer des biens communs. La lutte contre le dérèglement climatique est un bien commun de l’Union européenne. Je veux simplement souligner ce point : nous avons des politiques budgétaires décentralisées, qui font porter une responsabilité énorme sur la réalisation des objectifs fixés au niveau de l’Union européenne. Il y a là une dissension à nouveau à peu près similaire à celle qu’on a entre une politique budgétaire centralisée et des politiques budgétaires décentralisées. La question est, et Margarida l’a rappelé, que « le Green Deal est une stratégie de croissance ». C’est assez significatif : en fait c’est une stratégie de croissance durable, ce n’est pas la même chose. Je ne suis pas sûr que dans l’état actuel des discussions entre macroéconomistes au niveau des trésors ce point-là ne soit complètement intégré par tous pour comprendre la façon dont les règles budgétaires doivent être réformées. La question de l’incertitude et des risques que fait peser le fait qu’un pays, surtout s’il est grand, ne se conforme pas aux objectifs et ne réduise pas ses émissions de carbone, ces risques-là sont sous-estimés. Et je crois qu’ils doivent être mis en balance avec le risque que fait peser un endettement trop fort. Ce rééquilibrage des règles budgétaires est nécessaire. 

Ensuite, l’éligibilité des dépenses et les recommandations de réformes structurelles ne peuvent pas, y compris dans la « Facilité pour la reprise et la résilience », être simplement orientées sur le fait d’accélérer la croissance potentielle. C’est un concept extrêmement vague qui ne va pas permettre de cibler véritablement les bonnes politiques. C’est un des gros risques de la Facilité, l’ambition de lutter contre le dérèglement climatique sera probablement insuffisante. Je vois qu’un certain nombre de réformes préconisées en 2019 sont une obligation pour les États membres dans les plans de relance, avec des réformes qui de toute évidence vont conduire à une accélération des émissions de gaz à effet de serre. Tout au moins en France, j’ai en tête la baisse des impôts à la production avec les recommandations de la Commission en 2019, sans contrepartie. Une bonne partie du plan de relance français, je ne sais pas s’ils l’ont inclus dans le plan de relance soumis à la Commission, va donc correspondre à des baisses d’impôts très significatives, sans aucune contrepartie, qui vont accélérer la croissance, mais sans réduction des émissions de gaz à effet de serre. Là est le vrai danger de ne pas passer à une autre façon de penser la macroéconomie qui n’est plus celle des néokeynésiens, ce n’est pas une macroéconomie qui doit soutenir la croissance à tout prix. Elle doit être beaucoup plus différenciée, et j’ai l’impression qu’on ne l’a pas encore véritablement compris. 

Margarida MARQUES

Merci pour ces commentaires.

 Je voulais revenir sur cette question de l’investissement. Ce que je propose dans le rapport est exactement dans la même ligne que ce que le comité budgétaire européen a d’ailleurs proposé : que les investissements publics durables, générateurs de croissance, en particulier ceux conformes aux objectifs à long terme de l’instrument de l’Union européenne pour la relance fixée par l’Union européenne, devraient être exemptés de la règle en matière de dépense. Ce qui est important aussi, c’est le fait que les recettes publiques sont essentielles pour garantir la viabilité des finances publiques. C’est pourquoi il y a une référence au fait de demander aux États membres de prendre des mesures afin de lutter contre la fraude, l’évasion fiscale, et le blanchissement de capitaux. Il faut agir sur les deux tableaux : pas seulement du côté de la dépense, des investissements, mais aussi du côté des recettes où il y a beaucoup à faire.  

Sur la question du budget centralisé et de la valeur ajoutée européenne : je suis complètement d’accord avec toi. D’ailleurs la première ambition du Parlement européen lors de la négociation du cadre financier pluriannuel a été d’augmenter le budget, l’enveloppe financière, des programmes européens. C’est ce qu’on a fait, on a choisi des flagship programmes (programmes phare), pour lesquels on a touché pour la première fois de l’argent nouveau, 16 000 Md€ dont 11 000 Md€ d’argent nouveau, parce qu’on a eu bien conscience que ce sont les programmes européens gérés par la Commission qui produisent le plus de valeur ajoutée européenne. Ce sont ces programmes qui ont payé la facture de l’accord trouvé entre les leaders en juillet de l’année dernière sur la réponse européenne et le CFP. C’est pourquoi le Parlement a beaucoup travaillé et qu’on a réussi à augmenter des enveloppes financières. 

Sur la question du climat, encore, il faut rappeler que tant dans le CFP que la Facilité, comme tu l’as dit (la Recovery and Resilience Facility), il y a des objectifs quantitatifs très concrets en matière de climat : 30 % pour le climat, et pas seulement des objectifs quantitatifs, et 10 % pour la biodiversité.

Donc il n’y a pas seulement des objectifs quantitatifs il y a aussi une obligation du côté de la Commission d’avoir une méthodologie pour monitorer le progrès pour atteindre cet objectif à la fin du CFP. La Commission a même un tableau pour savoir quelle sera la contribution de chaque politique pour atteindre cet objectif à la fin du cadre financier de la période budgétaire. Parce que bien évidemment on ne peut pas exiger d’ERASMUS de contribuer avec 30 % de son budget au climat : parfois c’est même l’opposé qui se produit, parce qu’ils utilisent l’avion (pas en ce moment, mais quand même). De toute façon la Commission a préparé un tableau avec la participation de chaque politique européenne pour atteindre cet objectif, ce qui est important à mon avis dans les négociations du cadre financier pluriannuel. Et cela a été un point difficile de la négociation. Il ne s’agit pas seulement d’avoir un objectif, mais aussi un compromis pour monitorer les progrès. 

Pour terminer, nous avons évidemment discuté le projet de rapport. Je suis sûre que si on veut répéter le débat après que le rapport sera voté en plénière – et je souhaite qu’il soit approuvé –, après donc avoir travaillé sur les presque 500 propositions d’amendements, et bien je ne sais pas si nous serons alors exactement dans la même position politique. De toute façon il s’agit d’un rapport d’initiative, qui va influencer le débat européen, et bien évidemment nous serons de retour au moment où la Commission présentera ces initiatives législatives. 

Georges VLANDAS

Merci, c’est la fin de ce séminaire. Nous aurons peut-être l’occasion de revenir sur ces questions une fois que le rapport sera adopté et que la Commission aura pris ces initiatives. 

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