Available in English below
Crédits photo : Climate Stripes, University of Reading
La Commission européenne va bientôt proposer pour adoption par le Conseil et le Parlement européen un paquet législatif réformant la gouvernance économique européenne. Dans une série de quatre blogs qui paraîtront cette semaine et la semaine prochaine, nous allons montrer l’importance que soient établis des liens forts et explicites entre la gouvernance économique et la gouvernance énergie/climat. Un chemin que le Conseil ECOFIN, réunissant les ministres de l’économie, des finances et des budgets de l’Union européenne ne semble cependant pas vouloir prendre. Aujourd’hui quelques éléments de contexte.
Partie 1 – Sécheresse, dérèglement climatique et croissance
L’été 2022 a été le plus chaud jamais enregistré en Europe. Le nombre d’incendies dans l’Union européenne n’a jamais été aussi élevé qu’en 2022, environ deux fois et demi la moyenne 2006-2022 résultant en une perte de biodiversité et des émissions de CO2 d’ampleur exceptionnelle.

Selon une étude de l’OMS, les températures extrêmes ont été la cause de 15 000 décès en Europe. L’hiver 2022/23 également a été anormalement sec avec un impact significatif sur les réserves d’eau ainsi que des risques majeurs pour la végétation et les récoltes en l’absence d’un retour des précipitations au printemps 2023.
L’enquête sur la perception des risques globaux à long terme menée par le Forum économique mondial auprès de décideurs en majorité du secteur privé, met en tête de liste quatre risques environnementaux : échec des politiques d’atténuation, échec des politiques d’adaptation, recrudescence des catastrophes naturelles et des évènements météorologiques extrêmes et perte de la biodiversité – les trois premiers risques de cette liste étant également cités parmi les dix premiers risques à court terme.
Cette enquête d’opinion n’est pas nécessairement représentative ou méthodologiquement bien cadrée. Elle est cependant préoccupante : sa diffusion dans un cadre aussi médiatisé dans les journaux économiques et financiers que le Forum de Davos peut-elle aussi augmenter le risque que la prophétie soit autoréalisatrice ? Surtout si elle est confortée par des indices objectifs de l’insuffisance des politiques climatiques et environnementales.
Car la crédibilité des politiques climatiques est bien une condition nécessaire pour que le secteur privé investisse massivement dans la décarbonation et plus généralement intègre dans ses décisions les contraintes environnementales, matérielles, réglementaires ou monétaires, qui s’imposeront à leur modèle économique.
Or les indicateurs sont loin d’être au vert : dans l’état des politiques actuelles les émissions de gaz à effet de serre (GES) sur le territoire de la plupart des pays de l’Union européenne ne diminueront pas assez vite pour atteindre les objectifs fixés pour 2030 et 2050 (voir Graphique 1 et AEE, 2022a). Et seuls une minorité de pays ont une vision claire des fonds nécessaires à l’adaptation (AEE, 2022b).

Par ailleurs, la possibilité d’un découplage entre la croissance du PIB et les émissions est à ce stade purement spéculative. Certes, le PIB a augmenté depuis 1990 alors que les émissions de gaz à effet de serre (GES) diminuaient en tendance. Mais ceci n’est pas une preuve de découplage. Après 2000, les émissions de GES n’ont diminué qu’à l’occasion des crises financière de 2008/09 et sanitaire 2020/21 ainsi que pendant la période de faible croissance du PIB de 2011 et 2015[1]. Et, comme le montre le graphique 2, la croissance des émissions et celle du PIB restent étroitement liées.

L’explication est assez simple : en moyenne de l’Union européenne l’énergie primaire, c’est à dire l’énergie comptée avant transformation en électricité ou autre énergie « utilisable », est encore issue pour 70% d’énergies fossiles. Un pourcentage qui vaut aussi en bout de parcours pour l’énergie consommée par les secteurs non-énergéticiens (industrie, transport, agriculture et pêche, ménages – Graphique 3). En tout état de cause, tant que les énergies fossiles auront une place majeure dans le mix énergétique il ne peut y avoir de découplage au sens strict du terme entre croissance du PIB et émission des gaz à effet de serre : ce sont les énergies fossiles peu substituables à court terme dans de nombreux secteurs qui font la différence lorsque la demande d’énergie augmente avec le PIB, les revenus et les transports commerciaux et des ménages. A cela s’ajoutent les émissions non-énergétiques de GES, méthane et azote, associées principalement aux productions agricole et industrielle. Celles-ci représentent environ un quart des émissions totales (Graphique 4).


La dynamique actuelle des réductions des effets de gaz à effet de serre ne permet donc pas de conclure à un découplage structurel, suffisant et durable de ces derniers de la croissance du PIB. Les politiques favorisant la croissance seront dommageables si elles ne sont pas associées à une réduction suffisamment rapide de la dépendance aux énergies fossiles de tous les secteurs de l’économie ainsi qu’à des modes de production industriels et agricoles réduisant aussi les émissions de GES autres que le CO2. Cette association est loin d’être acquise.
Dans ce contexte, la gouvernance économique européenne ne peut pas être dissociée de la gouvernance énergie-climat. Les deux sont distinctes, mais doivent se compléter. L’approche de la gouvernance énergie/climat est sectorielle : mobilité et transport, énergie, industrie, construction, agriculture. Elle porte sur l’articulation entre les politiques de transition nationales et les objectifs, réglementations et mécanismes de prix adoptés au niveau européen et visant à réduire les émissions de GES. Mais les restructurations entre secteurs et infra-sectorielles nécessaires sont d’une telle ampleur qu’elles ne sont neutres ni économiquement, ni socialement, ni pour la cohésion de l’économie européenne. Et, à l’inverse, pour respecter les engagements pris pour la réduction des émissions de GES, la croissance du PIB est contrainte par l’efficacité des politiques de transition.
Dans la prochaine contribution à paraître jeudi 20 avril, nous verrons comment le Conseil ECOFIN regarde ailleurs pendant que la maison brûle.
[1] Le découplage entre croissance des émissions et croissance du PIB apparent entre 1995/96 et 2005/06 est largement due à la substitution du charbon par des produits fossiles moins émetteurs de CO2 dans les régions orientales de l’Allemagne et les pays de l’Europe orientale.
The European Commission will soon propose for adoption by the Council and the European parliament a legislativ package reforming the European economic governance. In a series of four blogs to be published this week and next, we will show the importance of establishing strong and explicit links between the economic governance and the energy/climate governance. However, this is a path that the ECOFIN Council, bringing together the EU’s economic, finance and budget ministers, does not seem to want to take. Today, some contextual elements.
Part 1 – Drought, climate change and growth
The summer of 2022 was the hottest ever recorded in Europe. The number of fires in the European Union has never been as high as in 2022, about two and a half times the 2006-2022 average, resulting in biodiversity loss and exceptional CO2 emissions.

According to the WHO, the extreme temperatures of summer 22 caused over 15.000 deaths in Europe. The winter of 2022/23 was also abnormally dry, with a significant impact on water reserves and major risks for vegetation and crops in the absence of a return of rainfall in the spring of 2023.
The World Economic Forum’s survey of perceptions of long-term global risks, conducted among decision-makers mostly from the private sector, puts four environmental risks at the top of the list: failure of mitigation policies, failure of adaptation policies, increasing natural disasters and extreme weather events, and loss of biodiversity. Mitigation, adaptation policy failure and increased natural disasters are also cited in the top ten short-term risks.
This opinion survey is not necessarily representative or methodologically well-framed. But what is worrying is the impact of its dissemination in a setting as high-profile in the economic and financial press as the Davos Forum which can increase the risk of a self-fulfilling prophecy. Especially if it is backed up by objective evidence of the inadequacy of climate and environmental policies.
Indeed, the credibility of climate policies is a necessary condition for the private sector to invest massively in decarbonization and, more generally, to integrate into its decisions the environmental, material, regulatory or monetary constraints that will be imposed on their business model.
However, the indicators are far from being green: under current policies, greenhouse gas (GHG) emissions in most EU countries will not decrease fast enough to meet the targets set for 2030 and 2050 (see chart 1 and EEA, 2022a). And only a minority of countries have a clear vision of the funds needed for adaptation (EEA, 2022b).

Moreover, the possibility of a decoupling of GDP growth and emissions is at this stage purely speculative. It is true that GDP has increased since 1990 while the trend for greenhouse gas (GHG) emissions was decreasing. But this is not evidence of decoupling. After 2000, GHG emissions only decreased during the financial crises of 2008/09 and 2020/21 and during the period of low GDP growth in 2011 and 2015. And, as chart 2 shows, emissions growth and GDP growth remain closely linked.

The explanation is quite simple: on average in the European Union, 70% of primary energy, i.e. the energy counted before transformation into electricity or other « usable » energy, is still derived from fossil fuels. This percentage also approximatively applies to the energy consumed by the non-energy sectors (industry, transport, agriculture and fishing, households – see chart 3). In any case, as long as fossil fuels play a major role in the energy mix, there can be no decoupling in the strict sense of the term between GDP growth and greenhouse gas emissions: it is the fossil fuels that are not easily substitutable in the short term in many sectors that make the difference when energy demand increases with GDP, income and commercial and household transport. In addition, there are non-energy GHG emissions, methane and nitrogen, mainly related to agricultural and industrial production. These emissions account for about a quarter of total emissions (chart 4).


The current dynamics of greenhouse gas do not allow the conclusion of a structural, sufficient and sustainable decoupling of greenhouse gas emissions from GDP growth. Policies that promote growth will be harmful if they are not combined with a sufficiently rapid reduction in dependence on fossil fuels in all sectors as well as with industrial and agricultural production methods also lowering their other than CO2 GHG emissions. This combination is far from granted.
In this context, the European economic governance cannot be dissociated from the energy and climate governance. The two are distinct, but must complement each other. The approach to energy/climate governance is sectoral: mobility and transport, energy, industry, construction, agriculture. It concerns the articulation between national transition policies and the objectives, regulations and price mechanisms adopted at European level and aimed at reducing GHG emissions. However, the necessary restructuring between sectors and within sectors is of such a scale that it is neither economically nor socially neutral, nor for the cohesion of the European economy. And, conversely, to respect the commitments made to reduce GHG emissions, GDP growth is constrained by the effectiveness of transition policies.
In the next contribution to be published next Thursday 20th of April, we will see how the ECOFIN Council looks the other way while the house is burning
[…] avons vu dans la première note de blog de cette série de quatre combien les économies européennes sont dépendantes du charbon, du pétrole et du gaz. Ces […]
J’aimeJ’aime
[…] et la croissance du PIB ont un impact substantiel sur les variations des émissions de GES (ici). Une croissance plus rapide du PIB ne peut être considérée comme soutenable que si elle va de […]
J’aimeJ’aime